lundi 9 juillet 2007

On continue avec les Comores... pour les courageux lecteurs !!

Et puis, il y a eu Mohéli, la majestueuse Mohéli.

La plus petite des îles de l’archipel (30kms de long sur 10kms de large), la moins peuplée (35000 habitants) et sûrement la plus préservée et la plus protégée grâce à son peuple soucieux de son environnement.

Cette île est encore plus belle que n’importe quelle carte postale paradisiaque ou vos rêves les plus fous en matière d’île déserte que la nature domine. Ici, vous pouvez marcher le long des plages superbes de sable blanc pendant des heures sans rencontrer qui que ce soit. Absolument aucun touriste étranger ne vient dans cette île méconnue et qui pourtant regorge de richesses naturelles. C’est l’un des meilleurs spot de plongée au monde et pourtant il n’y a pas de centre de plongée touristique. L’avantage écologique pour cette île, ou l’inconvénient économique pour ses habitants, réside dans le fait que les occidentaux n’orientent pas leur choix de vacances pour des pays musulmans. Tant mieux pour nous.

C’était la première fois que nous prenions un petit coucou pour faire la liaison entre les deux îles. 17 passagers et deux pilotes. Aucun steward pour vous servir ou pour expliquer les consignes de sécurité en cas de crash dans la mer. De toute façon, on avait beau chercher, impossible de mettre la main sur les gilets de sauvetage ! Une de nos belles rencontres, Alban, avait eu un accident, il y a quelques mois, avec cet avion lors du décollage. Il n’avait tout simplement pas voulu décoller et a fini dans le décor près de la mer. Les passagers étaient rentrés à l’aéroport à pied, après avoir pris auparavant leurs bagages situés à l’arrière de l’avion !

Anedocte qui nous restait dans la tête au moment du décollage. Surtout que les pilotes évaluent la surcharge de l’avion par rapport au niveau d’aplatissement des roues. Si elles sont à moitié gonflées, alors l’avion peut partir. Plutôt rassurant !

Mais le vol se déroula sans encombres, il nous permit même de traverser d’ouest en est Grande Comore et d’admirer les différents paysages qui la composent. Des plages de sables fin ou de roches volcaniques au volumineux volcan qu’est le Karthala (2630m) déchirant les reliefs de l’île par ses nombreuses coulées de lave.

Arrivée à l’aéroport (à peine plus grand que notre maison) de Fomboni, la capitale de Mohéli. Nous avons été accueillis chaleureusement par le directeur de l’alliance française de l’île, Ahmed Bourat. Avec lui, tout est possible, rien n’est un souci. Cet ancien d’un grand charisme, d’une joie de vivre et d’une volonté de faire plaisir à tous ses invités lui avait valu le sobriquet de Papaoui. Il nous emmena à la pointe sud est, dans le charmant petit village d’Itsamia, où les garde-bœufs et hérons cendrés couvent paisiblement leurs futures progénitures dans les baobabs, où les roussettes, variété de chauve-souris diurnes présentes partout aux Comores, font près de 80 cms d’envergure et où l’écotourisme est de prime. Le week-end étant consacré au deuxième tour des présidentielles, il nous était impossible de se donner en spectacle… c’est ce que l’on pensait tout du moins. Et puis nous voulions profiter d’un des plus beaux endroits de l’Océan indien en matière de plongée. Un peu de repos ne nous ferait pas de mal après 3 jours de spectacle d’affilée. Seulement en arrivant, dans notre élan de vouloir toujours faire rire et rêver les gens, nous avons tout de même demandé aux villageois s’ils étaient intéressés pour voir des clowns chez eux. Cinq heures plus tard, Matou, le responsable du parc marin et de la protection des tortues marines dans cette région, avait installé le nécessaire pour pouvoir jouer devant « la maison des tortues ». Et voilà que chaque villageois avait apporté sa chaise pour assister à quelque chose qu’ils n’avaient jamais vu auparavant. Ils pouffaient de rire à chaque gag, restaient bouche bée devant nos tours de magie (certains parlaient de « miracle » ou de « démons »), partaient en courant quand je m’énervais ou je m’approchais des femmes afin de les séduire, pleuraient quand Milie quittait la maison…


Tous ne parlaient que de cela toute la nuit, certains en ont rêvé, d’autres l’avaient ébruités le lendemain jusqu’à Fomboni, à 25 kms du village !

Matou nous emmena voir, plus tard dans la nuit, les tortues marines qui venaient sur les plages d’Itsamia pour y pondre leurs 130 œufs. Spectacle magnifique de voir cette trentaine de mastodontes de plus de 100 kilos pondre des balles de ping-pong. Pour ce faire, elles remontent la plage à la recherche d’un sable bien humide avant de creuser un énorme trou à plus de 50 centimètres de profondeur. Ensuite, grâce à ses pattes arrières, elles creusent un autre trou en forme de poche où elles déposent ses œufs puis le rebouche avant de rejoindre la mer. Le tout s’est fait en deux heures.

Déçus de ne pas avoir pu voir les bébés tortues sortir de leur trou dans la nuit, nous avons décidé de retourner le lendemain matin sur ses plages aussi magnifiques que désertes. Une fois de plus nous n’avions pu qu’apercevoir les traces que ces centaines de bébés avaient pu laisser quelques heures auparavant. A leur éclosion, soit deux à trois mois après la ponte, tous les bébés tortues creusent ensemble vers le haut afin de remonter le tunnel vertical que leur mère avait bouché. C’est là que le drame commence : sur les 130 œufs, seulement une centaine réussira à éclore. Puis à la sortie du trou, ils doivent affronter les hordes de crabes la nuit et tenter de rejoindre la mer le plus vite possible avant que les corbeaux pies et les rapaces ne les attrapent dans leurs serres pour les manger. Plus des trois quarts des bébés seront déjà morts avant d’arriver dans leur milieu naturel. Mais une fois dedans, ils doivent éviter les poissons et encore ses prédateurs volants qui n’hésitent pas à revenir à la charge pour les attraper – un jeu d’enfant pour eux car les bébés tortues n’arrivent à nager qu’en surface. A peine 10% des bébés arriveront finalement à survivre. Dur dur la vie d’une tortue. Heureusement, elles se rattrapent par la suite en vivant plus d’une centaine d’années en moyenne, si évidemment elles ne sont pas chassées par l’homme pour les manger. Les femelles sont une proie très facile pour les braconniers car ils n’ont qu’à attendre leur arrivée sur la plage pour les attraper. Les mâles quant à eux ne reviennent plus jamais sur la terre ferme, c’est pour cela qu’il y a de plus en plus de mâles que de femelles aujourd’hui. Et bien qu’à Itsamia, les villageois soient très sensibilisés sur la protection des tortues, les braconniers viennent des villes ou îles voisines pour continuer ce saccage. Ils dénichent les œufs, mangent et exportent la viande et vendent les carapaces. Et tant qu’il y aura des clients assez stupides pour les acheter, les tortues - comme bien d’autres espèces en voie d’extinction - ne connaîtront jamais la paix.

Déçus de ne pas pouvoir faire un peu de plongée pour nager avec les tortues et les raies, car la mer était trop mauvaise - l’hiver et les alizés étaient arrivés une semaine avant - et dépités de ne pas avoir vu un banc de bébés tortues, nous décidions de rebrousser chemin. C’est à ce moment là que l’on aperçu au loin une nuée de corbeaux pies et d’aigles se ruant sur le sable. Ni une ni deux, comprenant ce qui se passait, nous courûmes vers les « lieux du crime » pour tenter non pas de sauver, car il ne faut pas intervenir dans l’ordre naturel des choses, cela fait partie de la chaîne alimentaire, mais seulement pour apercevoir ces magnifiques bébés. Il n’en restait plus que trois sur la plage, les autres s’étaient déjà fait dévorés ou continuaient leur vain périple sous la menace constante des aigles.

Qu’ils sont magiques ces bébés tortues. A peine plus long qu’un pouce, leur carapace luisante encore toute fragile, leur minuscule tête préhistorique attendrirait n’importe quel dur à cuire - ah non, pas les braconniers. Dans leur tentative de s’échapper de nos mains, on a l’impression qu’ils nous saluent fièrement de leurs petites pattes avant.

Nous les relâchions au bout d’un moment, non sans avoir pris le temps de leur accorder le quart d’heure de gloire qu’ils méritaient, sous l’objectif de nos appareils photos et caméras vidéos (ah ces japonais !). Ils partirent à la hâte vers la mer, les vagues les repoussant une ou deux fois, puis nous les saluâmes bien fort en leur souhaitant bonne chance dans la vie… une dernière fois… avant que les aigles et corbeaux pies ne les attrapent avec une avidité et une facilité déconcertantes. C’en était fini pour eux…

Notre prochain rendez-vous se trouvait au sud de l’île. Le village de Nioumachoua qui fait face aux magnifiques îlots entourés de lagons couleur bleu ciel, vert turquoise. Un des meilleurs spot de plongée au monde où l’on peut admirer les requins marteaux, les bancs de thons, les baleines à bosse et les dauphins entre autres. Malheureusement, la mer était vraiment trop agitée ici aussi. Moi qui voulait absolument plonger depuis des mois, voire des années, le temps se riait de nous encore une fois. De plus, impossible de sortir le parachute ou jouer le spectacle le jour des élections présidentielles, surtout dans le fief du probable futur président de l’île. Donc nous avons passé la journée avec notre nouveau camarade François, et Marie - qui nous accompagnait depuis le début à Mohéli - à jouer au tarot et à nous baigner au bord d’une plage sublime en bordure d’un lagon. Bon, c’est sûr, ça n’a pas l’air très intéressant ce que je dis là !

C’est alors que nous eûmes avec Marie la folle idée de traverser ce lagon où d’habitude, quand la mer est calme, on peut nager avec les bancs de poissons, les tortues et les raies, afin de rejoindre une petite plage déserte qui se trouvait en face. Cela faisait bien 5 ans que je n’avais pas autant nagé. Pour un ancien nageur et poloïste, il était vraiment temps que je m’y remette. 1500 mètres dans une eau vraiment agitée et tellement trouble que j’avais l’impression de faire constamment du « sur place ». Marie eut la sagesse de rebrousser chemin assez vite. Me sentant en confiance et heureux de retrouver des sensations perdues depuis bien trop longtemps, je décidais de continuer ce « défi ». Et voilà que mes palmes me jouent de vilains tours à 400 mètres du but. Les fixations ne cessent de se détacher et il s’en fallut de peu pour qu’elles ne disent au revoir à mes pieds, préférant se reposer au fond du lagon. Vu la visibilité, il n’y avait aucune chance de les récupérer. Alors je tentais de les refixer tant bien que mal, les vagues me faisant boire la tasse dans les moments où je me concentrais le plus, mes pieds heurtant des choses solides de-ci de là : rochers, tortues ou autres ? Je n’en savais rien. A ce moment-là, j’étais vraiment content de mon passé de nageur pour ne pas céder à la panique.

Arrivé enfin sur la plage promise, j’étais pris entre la satisfaction d’avoir rejoint la terre ferme, réussi ce défi personnel à la con et la peur de faire le même parcours, mais cette fois-ci à contre courant !!!

Et donc me voilà sur cette plage déserte dont je ne sais comment en sortir ! Quel naze ! J’explorais en vain les éventuels chemins, tombais nez à nez avec une énorme carapace de tortue cachée entre deux bananiers pour enfin me rendre à l’évidence que je ne pouvais traverser la forêt ou le champs de bananiers pieds nus.

Tel Robinson Crusoé, je décidais alors de suivre les traces de pas longeant la plage ! Seulement, elles finirent peu de temps après, sur les gros rochers qu’il fallu arpenter. Ensuite je me retrouvai encore bien seul dans la mangrove avec mes amis les traces de pas, les gros crabes (certains atteignent plus de 1,5 kgs) et oiseaux de cette végétation si particulière qui faisait ressurgir en moi bien des souvenirs d’Amérique latine.

Deux choix s’imposèrent peu de temps après : continuer à longer la mangrove (ce que j’aurais dû faire) ou m’enfoncer dans la forêt de cocotiers et de manioc (très beau paysage mais pas très bonne idée !). Mes pieds de petit blanc étaient mis à rude épreuve lorsqu’il fallu marcher sur des branches épineuses et des cailloux tranchants.

Et pour une fois, je regrettais de ne pas être en Inde car dans ce pays, à l’inverse d’ici, on a beau se retrouver dans un décor totalement désert, il y aura TOUJOURS un indien qui sortira de nulle part, vous empêchant de profiter de ce sentiment d’être seul au monde. Heureusement, j’aperçu assez rapidement une ligne électrique au loin qui devait suivre la route reliant le petit village de Wallah à Nioumachoua. J’étais sauvé !

Cette route bitumée défoncée et chauffée par le soleil me faisait regretter la forêt que je venais de traverser ! J’étais cependant à la fois inquiet et hilare de croiser des comoriens dans une telle tenue : vêtu d’un petit caleçon avec dans mes mains un masque, un tuba et une paire de palmes ! Situation totalement surréaliste dans un pays musulman, qui plus est le jour des élections présidentielles, où un couvre feu et une interdiction totale de circuler tout le week-end ont été décrétés afin d’éviter les fraudes électorales qui sont monnaie courantes ici !!

Mais je ne croisai pas un comorien, mais plutôt deux militaires Anjouanais postés à l’entrée du village. Je pouvais lire sur leur visage à la fois de l’incrédulité (tu m’étonnes) et de l’inquiétude devant ce « mozongo » à l’air louche. L’un d’entre eux s’écarta de sa voiture et pris son arme à la main au moment où je m’approchai de lui. Pour le rassurer, je m’accostai contre sa voiture (technique de gestion de conflits physiques et verbaux !) afin qu’il puisse penser que, d’une, il pourra m’immobiliser au cas où cela dégénère et, de deux, que je n’étais pas un mercenaire venu par bateau pour contrecarrer les élections. Vous devez sûrement rigoler mais il paraît que cela est déjà arrivé dans l’histoire de cette île.
Et voilà qu’il me pose des tas de questions aussi stupides que ses conclusions :

« Vous venez d’où ?
- De la petite plage de Mojio.
- Qu’est ce que vous êtes venus faire ici ?
- Du tourisme.
- J’ai pas entendu parler d’un bateau de touriste qui devait accoster ce week-end
- C’est normal, je suis venu en voiture.
- En voiture ? Ca c’est pas possible monsieur.
- Bah si, regardez y a bien une route sous nos pieds !!
- Donc vous venez d’où ?
- D’Itsamia, je suis arrivé hier.
- C’est pas possible, la route d’où vous venez mène à Wallah. Itsamia, c’est de l’autre côté de l’île.
- Merci, ça je sais. Mais je vous ai dit que j’arrivais de Mojio. Je viens de traverser la baie, je suis arrivé sur la plage de Mojio, j’ai eu des problèmes de palmes, j’ai préféré rentrer à pied jusqu’à l’hôtel des baobabs où je dors, et là je suis perdu.
- Mais par là, c’est pas Mojio, c’est Wallah.

- Vous êtes sûr que vous êtes d’ici ? Bon…euh…comment vous faire comprendre qu’il y a plein d’autres endroits que Wallah par là ?
- Votre passeport s’il vous plait. »

A ce moment là, j’ai cru que j’allais éclater de rire, mais je me suis difficilement retenu. Comment pouvait-il penser en me voyant dans un pareil accoutrement et encore tout mouillé que je puisse avoir mon passeport sur moi ?!!!!!!

Je lui dit « calmement » que mon passeport était à l’hôtel et qu’il était le bienvenu s’il voulait le vérifier mais que maintenant je voulais arrêter de me promener à moitié nu devant les villageois, et surtout villageoises, car cela me m’était mal à l’aise.

Comprenant la stupidité de sa question, je pense, il décida de me laisser tranquille tout en me disant qu’il viendrait jeter un coup d’œil à mon passeport le soir même. Je ne le revis jamais. Un villageois me ramena jusqu’à mes amis et ma chérie qui s’inquiétaient de me voir au loin, immobile dans la baie, avant de se rendre compte que ce n’étaient que deux rochers sortant de l’eau !!

Le soir même, la fête commença au loin en apprenant les résultats des élections. Mohamed Ali Saïd, le petit enfant du village, était élu président avec une très large avance. La veille, toute la nuit, et pendant toute la journée, les partisans du président sortant Fazul et ceux de Ali Saïd, n’avaient cessé de s’épier afin que les uns ou les autres n’entrent chez les gens pour les corrompre avec un peu ou beaucoup d’argent.

Le gérant tout heureux de la nouvelle, nous apprît le lendemain avec tristesse que l’un de ses fils avait été légèrement brûlé par de l’eau chaude à cause d’une partisane de Fazul déçue. Elle avait lancé de l’eau bouillante sur ceux qui fêtaient pacifiquement la victoire de son adversaire. Alors que d’autres pro-Fazul avaient rejoint les soi-disant adversaires, mais avant tout voisins, amis ou famille pour faire la fête avec eux jusqu’au petit matin !!!

Le responsable du croissant rouge à Mohéli, Ambdi Madi Boina, nous avait invité à à jouer dans son village de Ouanani. A notre arrivée, tous les villageois furent agréablement surpris de voir qu’enfin des étrangers s’arrêtaient chez eux - sans qu’ils attendent un taxi brousse vers l’est pour Itsamia ou l’ouest pour Nioumachoua et Wallah. C’était avec une grande joie et une grande curiosité que les petits comme les grands vinrent scruter le moindre de nos faits et gestes chez Ambdi Madi. Nous discutâmes des élections et comment le président sortant était détesté dans ce village également. Beaucoup ici sont, ou on été, des fonctionnaires dont les non paiement de salaires s’élevaient à plusieurs mois ou années. Il paraît que le jour des élections, une camionnette des partisans de Fazul s’était promenée dans le village pour racoler les potentiels électeurs (mais où étaient donc les observateurs internationaux pendant ce temps-là ??) Du coup, beaucoup ont pris l’argent de Fazul et ont quand même voté pour Ali Saïd, question de reprendre un peu ce qu’il leur était dû depuis 5 ans et d’arnaquer doublement leur ancien arnaqueur de président en votant pour son adversaire !

On nous procura un générateur pour jouer près du terrain de foot situé en plein centre ville. Puis l’artiste du village, Papaké, vint à notre rencontre pour être notre complice le temps d’un spectacle. Du haut de ses 1,90m et coiffé à la « Jackson Five », dont ses cheveux se finissaient par deux mini tresses à la gauloise, Papaké avait un look unique sur son île, peut-être même dans tout l’océan indien ! Je ne pus m’empêcher de toucher sa moumoute au début du spectacle pour voir si ce n’était pas une imposture capillaire. Il s’averra que non lorsqu’il fit la grimace au moment où j’ai tiré un peu plus fort. Bref nous avions briffé Papaké sur ce qu’il devait faire et il nous fit comprendre, qu’en tant qu’artiste, il avait l’habitude de cela et avait parfaitement compris son rôle. Tout comme les villageois, il fut tellement happé par notre spectacle, si unique en son genre pour eux (nos tours de magie nous ont conféré - une fois de plus - un statut d’être supérieur, être qu’il fallait craindre et respecter), qu’il en oublia totalement de mettre la musique ou de jouer de la percussion au bon moment. Il laissa des blancs si énormes que tout le monde se demandait pourquoi on ne continuait pas à jouer !!

Autre anecdote, beaucoup moins drôle celle-ci. Notre spectacle attira tellement de monde qu’un jeune motard traversant le village ne prêta plus attention à la route, l’espace de quelques secondes, préférant regarder cette masse autour des clowns. C’est au même moment qu’une petite fillette du village décida de traverser sans regarder la moto qui arrivait. Et Boum, ce fut le drame. La fillette n’eut rien de cassé heureusement. Cependant pour le motard, c’était une autre affaire. Il descendit immédiatement de sa moto et s’en éloigna assez rapidement, comprenant ce qui allait lui arriver. En moins de cinq secondes, tous les villageois s’étaient rués sur lui. À 70 contre 1, il allait être lynché sur place et il n’opposait aucune résistance. Telles sont les lois tribales quand la justice d’un pays n’existe pas. Alors sans vraiment réfléchir aux conséquences, je vins prêter main-forte aux deux seuls villageois qui tentaient de le protéger des coups de poing, des coups de pied, de le mettre complètement nu - pour lui voler ses affaires - ou des noix de coco qui se fracassaient contre son crâne. Et me voilà, déguisé en clown, au milieu de cette cohue hystérique, espérant que par mon statut de rigolo et de sorcier accomplissant des miracles, comme faire disparaître et réapparaître des foulards, je ne me prenne pas non plus des coups. Et effectivement personne ne me toucha, tandis que les deux protecteurs se faisaient insulter par le reste du village. Ils réussirent malgré tout à s’écarter de la foule pour l’emmener jusqu’au poste de gendarmerie, où il a dû passer un sale quart d’heure. Ça, je n’en su rien car, deux minutes plus tard, presque toute la foule en délire revint autour de la scène pour voir la fin du spectacle en toute sérénité !!! Nous restions tous les deux comme deux personnes prises entre l’étau et le marteau. Devions-nous arrêter le spectacle en guise de protestation, risquant de nous attirer une nouvelle colère des villageois - qui auraient trouvé les clowns beaucoup moins drôles et les sorciers beaucoup moins « intouchables », ou devions nous aller jusqu’au bout pour calmer les esprits - en se disant qu’il valait mieux pour le motard être entre les mains de la gendarmerie plutôt qu’entre celles des villageois ? Ambdi Madi, son fils sur ses genoux qui attendait avec impatience la suite, nous fit signe de continuer sans nous préoccuper pour le motard. Nous reçûmes une ovation générale à la fin du spectacle avec, en prime, des chants de rappel à n’en plus finir et un cortège d’enfants qui nous suivirent jusque chez Ambodi Madi !!! Matinée vraiment inoubliable !

La journée se finissait en apothéose par un spectacle non moins mémorable pour les villageois de Miringoni, à l’autre bout de l’île (heureusement qu’elle est petite !) où certaines femmes me fuyaient et où d’autres, poussées par les villageois, étaient prêtes à m’embrasser sur la joue pour 20 euros, nouveau « gag » dont nous faisions la première expérience. Il faut dire qu’aux Comores, comme dans beaucoup d’autres pays, moins à Mohéli paraît-il, certains citadins riches (notamment des grands notables) n’ont aucun scrupule à partir dans les villages chercher une jeune fille de famille pauvre. Ils promettent à ses parents (ces derniers voyant là une occasion unique d’avoir une bouche en moins à nourrir et, pour elle, d’échapper à la misère qu’ils ont toujours connue) que leur fille aura une éducation, qu’ils la nourriront bien et qu’elle vivra heureuse.

Seulement dès le premier pas dans sa nouvelle maison, la très jeune adolescente se voit munie d’un tablier de cuisine, d’un balai, d’un seau d’eau et d’un fer à repasser pendant de nombreuses années, et tout cela sans jamais voir un jour l’ombre d’un cartable, d’un crayon ou d’une paire de ciseaux (ah si… Pour la couture…).

Et si elle a le malheur d’en parler à ses parents ou qu’elle tient tête à ses tortionnaires de maison, il y aura toujours quelqu’un pour s’ « occuper d’elle » de façon très intime.

Heureusement des campagnes de sensibilisation sont de plus en plus fréquentes dans les villages pour éradiquer ce fléau social qui semble peu à peu décroître. Mais il est encore monnaie courante à Moroni par exemple. Alors je comprenais pourquoi cette villageoise à la fleur de l’âge était prête, poussée - dois-je le rappeler - par les autres villageois, à corrompre ses convictions personnelles et religieuses pour faire un petit bisou à un clown abject… et surtout pour 20 euros !!

Ce fut à l’alliance française que nous avons joué notre dernier spectacle à Mohéli. Programmé la veille mais intelligemment repoussé au lendemain par Papaoui car, Fomboni étant en effervescence au lendemain de la victoire d’Ali Saïd (certains villageois – après avoir fait la fête toute la nuit – avaient marché des quatre coins de l’île pour venir à la capitale), personne n’avait guère envie de voir des clowns ce jour-là. Notre public était principalement composé d’élèves et d’adhérents de l’Alliance, presque aucun enfant n’était présent. Jouer devant un tel public était du domaine de l’inédit. Ces adolescents et jeunes adultes étaient, en plus de cela, complètement survoltés par la venue de jeunes stars de la chanson comorienne. Imaginez un concert de Patrick Bruel et vous comprendrez l’ambiance qui régnait ! Et nous, nous devions jouer derrière cela ! Au début du spectacle, nous entendions des réflexions venant de toute part et qui faisaient rire tout le monde. C’est dans ces moments-là que l’on regrette de ne pas avoir appris les vannes comoriennes ! Mais plus le spectacle continuait, moins le public parlait, il murmurait maintenant quant à nos sorcelleries et riaient à nos numéros peu communs. Il finit par applaudir chaleureusement et en redemanda encore, après être resté coi les quelques secondes qui suivirent nos remerciements - refusant que notre représentation se termine si tôt !!

Avant de partir, la troupe de théâtre, qui avait également joué un peu plus tôt dans la journée, nous fit promettre de revenir bientôt travailler avec eux pour créer un spectacle ensemble, tellement ils avaient adoré ce que nous faisions. Nous espérons franchement ne pas rompre cette belle promesse car nous étions de plus en plus amoureux de cette île et de ses habitants. Inch’allah !

Nous avons fêté cette nouvelle belle journée par une belle cuite au ti’punch « rhum charrette » à cause de mon nouvel « alcoolyte » d’un soir, François (salaud ! t’as réussi à me corrompre !!), qui nous avait généreusement accueilli comme « alcoollocataires » dans sa grande maison !!

Rentrés en coucou, la tête en vrac, à Grande Comore, nous faisait déjà beaucoup moins peur. Heureusement, nous avons eu le temps de désaoûler un peu plus grâce à son heure et demie de retard. Il nous restait que deux petits jours à passer sur l’île avant de rentrer à Madagascar. Mais assez de temps pour faire un peu de plongée au tombant d’Itsandra (enfin!!) et refaire les guignols sur la plage pour les enfants de Moroni - qui n’avaient pu nous voir jouer auparavant - mais qui nous connaissaient déjà très bien, ou plutôt qui connaissaient déjà très bien notre parachute ! C’était également l’occasion de réunir tous ceux que nous avions côtoyés pour les remercier et leur faire, non pas nos adieux, mais simplement nos « Au revoir et à bientôt !», et aussi de trinquer avec François au rhum arrangé aux scolopendres, ces espèces de gros vers de terre croisés avec un perce oreille. Dégueulasse. Ne même pas en donner à ses pires ennemis. Il paraît que la bouteille était là en guise de décoration !

Nous remémorant l’épisode à l’aller du surplus de voyage et surtout la stupidité dont nous avions fait preuve - et qui nous avait coûté une somme colossale - nous étions fort décidé à ne pas refaire deux fois la même erreur. Transportant un maximum de poids dans nos bagages à main et habillés comme des expéditeurs partant pour l’Himalaya, nous espérions ne pas donner le moindre franc comorien à Air Madagascar.

39,2 Kilos sur 40 autorisés ! Chanceux ! Enfin cela était sans compter le surplus de 10 kilos qui se trouvaient dans chacun de nos bagages à main. Mais nous avons volontairement omis (il y va de soi) de les peser et de les enregistrer, comptant sur la « vigilance » des policiers et douaniers comoriens pour passer les contrôles sans notre petite étiquette de check-in. Par ailleurs, du fait du poids conséquent qu’elles représentaient, la trousse à pharmacie, celle à médicament et la tondeuse, faisaient en autre partie des objets contenus dans nos bagages à main. Bien entendu, des tas d’objets « illégaux », telles que ciseaux, médicaments, rasoir électrique, et bien sûr lime à ongles (Ah ! Que les « Têtes à claques » me manquent ! http://www.tetesaclaques.tv/ pour ceux qui ne connaissent pas encore ce petit bijou de site), ne pouvaient passer le contrôle scanner et bientôt ils découvriraient notre petite supercherie. Et bien, à notre plus grande surprise et pour notre grand bonheur, mais aussi à notre plus grand désarroi – car il faut se rendre à l’évidence que n’importe qui peut transporter n’importe quoi, ou dépasser la charge autorisée, sans que quiconque vienne vous dire quoi que ce soit – nous avons passé les contrôles avec une facilité déconcertante. Mais peut-être pouvons-nous dire que c’est tout à leur honneur de ne pas céder à la psychose mondiale du « tout sécuritaire », spécialement lorsque l’on connaît la tension politique qui règne dans cet archipel.

Nous partions enfin après avoir attendu pendant presque deux heures ce « décolle tard » qui répète ces vices quotidiennement à Antananarivo. Y’a t-il seulement un moyen de transport qui soit à l’heure à Madagascar ? Si oui, écrivez-nous ! Son retard fut compensé par le confort et la vue qu’il a pu nous fournir. Enfin un avion ne faisant pas de bruit et nourrissant plus en nous une certaine nostalgie, en surplombant tout l’archipel et notamment Mohéli, que le casse croûte qu’on nous servit !

Dès notre premier pas sur le sol comorien, nos affaires d’hiver furent vite retirées tellement la chaleur était plus imposante qu’aux Comores. A Mahajanga, il ne pleut presque jamais et, heureusement, l’hiver vient de débuter avec seulement ses 35° !

Mais ce fut plus les autorités que le temps qui échauffa réellement nos esprits à l’aéroport. Depuis le matin même, les lois de la nouvelle constitution (refusée à plus de 70% des malgaches en avril dernier, mais tout de même adoptée par le président et garant de la démocratie de son pays !) venaient d’entrer en vigueur en matière de renouvellement de visas. Auparavant, les touristes avaient le droit à 3 mois dès leur arrivée à l’aéroport. Aujourd’hui, ils doivent passer au « bloc administratif » pour évaluer la durée du séjour ! Nous voilà donc en possession d’un visa provisoire valable 15 jours. Pas étonnant que le tourisme soit en baisse dans ce pays magnifique. Les autorités font tout pour ne rien faciliter aux étrangers de passage. Cependant, il y a toujours du bon dans tout cela car l’Alliance Française n’aurait pu faire aucune modification de visa si l’on avait payé sur place pour ces trois mois et nous aurions finalement été obligés de quitter le pays au bout de son expiration. L’Alliance devrait normalement nous délivrer un visa « de courtoisie » afin de pouvoir travailler avec elle dans les prochains mois. Beaucoup de beaux projets en perspective, beaucoup de confirmation avant de s’enflammer.

Et nous revoilà à Mahajanga pour 15 jours à travailler avec l’Alliance française de la ville, à manger de succulents repas de rue pour une somme dérisoire, à découvrir un des plus beaux parcs naturels du pays et bien sûr à faire les clowns.

Pour finir (enfin !!), nous sommes passés à l’agence maritime voir si l’on pouvait changer nos francs comoriens contre des aryares malgaches et faire un petit coucou à notre ami Hassan, le directeur, qui nous avait vraiment aidé dans nos démarches administratives et déconseillé d’attendre son bateau qui devait nous emmener aux Comores. Il y a trois semaines, l’ « Ile de Mohéli » devait quitter le port de Mahajanga, non le 15 comme il était prévu mais plutôt vers la fin du mois de juin. Aujourd’hui, ce bateau n’est toujours pas parti. Pire, il ne devrait être opérationnel qu’à partir de mi-juillet, donc début Août !

Quelle bonne idée avions-nous eu ce jour-là de prendre le « décolle tard » malgache pour vivre cette aventure inoubliable !

Luis

Stress à Mohéli !


Encore une fois, sans commentaire. Enfin, si vous pouvez en faire !