mardi 5 juin 2007

GALERE, LUXE ET BELLES RENCONTRES.


Bientôt 10 jours que nous sommes arrivés à Antalaha et tellement de choses à dire, d’histoires à raconter, par quoi commencer ? Par le début tiens !

De nouveau, 27 heures entassés comme du bétail avec 16 autres personnes à l’arrière d’un pick-up bâché, à se battre afin de trouver un espace pour mettre ses pieds et allonger ses jambes, à faire connaissance avec l’une des « routes » les plus réputées du pays : 18 heures pour faire seulement 150 Kms de piste (et en 4X4 s’il vous plait !!!), à désembourber la voiture à maintes reprises, à voir les camions également coincés pour de longues heures par la boue, à se prendre constamment l’enceinte de l’autoradio sur le front, le vent, la pluie et la poussière sur tout le trajet (fait insignifiant mais qui aura son importance plus tard), mais aussi à passer par des paysages splendides allant des plaines arides des terres intérieures aux montagnes luxuriantes de végétation tropicale, pour finalement arriver sur l’une des plus belles côtes de Madagascar, la côte de la vanille, à l’Est du pays. Et enfin… enfin…, quitter non pas les nids de poules, mais plutôt les nids de cigognes, d’éléphants ou de T-rex, pour se retrouver sur une superbe et surprenante route bitumée et signalisée sur nos quatre dernières heures de voyage. Vive le commerce de la vanille !!! Le plus important commerce de la région, cet « or noir », l’un des meilleurs au monde, faisant vivre des centaines de milliers de personnes, grâce aux milliers de tonnes exportées chaque année, et qui, grâce à cette route bitumée et sans trous (construite il y a peu de temps pour faciliter son transport), longeant toute la côte, de Vohemar à Antalaha (les deux principaux ports du coin), nous permet aujourd’hui d’avoir un peu de répit sur les derniers kilomètres de notre parcours !

Point d’autre explication pour imaginer dans quel état nous sommes arrivés à Antalaha !!! Après avoir passés ces terribles 27 heures, sans pouvoir fermer l’œil ne serait-ce qu’une seule minute, plus de 12 heures de sommeil étaient nécessaires, sinon vitales, pour enfin pouvoir se reconnecter au monde qui nous entourait.

Nous rejoignons alors la troupe de cirque de Tana, l’aléas des possibles, avec qui nous devons faire quelques spectacles dans la région. Mais nous avons vite déchanté en voyant l’accueil ni vraiment glacial, ni vraiment chaleureux, mais plutôt indifférant que nous a réservé la directrice de cette association. La surprise était d’autant plus grande que deux mois auparavant, lors de notre première rencontre, le contact avait été très bon. Alors pourquoi n’avait-elle pas vraiment de temps à nous consacrer ?

Il est vrai que notre « road trip » avait été ridicule comparé à celui de la troupe. Ils étaient arrivés deux jours plus tôt tous les 11 couverts de boue, des cernes jusqu’aux pieds, sentant tous la transpiration de plusieurs jours et complètement exténués par leur voyage. Pourtant, tout avait bien commencé pour eux : près de 3000 personnes étaient venues assister aux défilés et aux spectacles qu’eux, l’alliance française de Diego et une troupe de la Réunion avaient organisé pendant 10 jours. Puis c’est le drame, tout s’enchaîne !
Ils empruntent la même piste que nous, seul le moyen de locomotion est bien différent. Nous avions eu la bonne idée de prendre un 4X4, pas eux !!
Je fais le malin mais lorsque nous étions à la gare routière de taxi brousse de Diego pour acheter un billet, nous n’avions pas cru les chauffeurs de 4X4 qui faisaient tout leur possible pour nous dissuader de partir en minibus. Bien sûr, nous pensions à la base que c’était pour gagner plus d’argent. Mais nous nous sommes vite rendus à l’évidence qu’aucune société de transport ne voulait faire ce trajet sans 4X4, tellement la route est mauvaise, et qu’il n’y avait pas d’autre choix que celui-là.
Seulement voilà la troupe loue un minibus depuis la capitale pour toute la tournée, malgré les objections du directeur de l’alliance française qui connaît bien le coin. Et, là où nous avons passé 27 heures très difficiles, eux galèrent pendant plus de trois jours, à attendre que certains camions bloquant la route puissent enfin leur laisser le passage, puis c’est le minibus qui à maintes reprises reste bloqué à son tour dans la boue. Alors ils dorment à la belle étoile la nuit après avoir jouer des percussions et de la cabosse (guitare malgache), le moral est au beau fixe quand même, mais plusieurs pièces mécaniques ont cédé dans les « accidents » de parcours. Ils ne savent même pas s’ils vont arrivés au bout. Les chauffeurs et mécaniciens rafistolent le minibus tant bien que mal et arrivent finalement à Antalaha, avec deux jours de retard sur le programme prévu. Résultat, les dégâts du minibus sont conséquents, les réparations vont coûter très cher, et il est hors de question de refaire la route dans une semaine pour rentrer à Tana. Une seule solution : le boutre !!!
Pour ceux qui ne savent pas ce qu’est un boutre, c’est tout simplement le moyen de transport à éviter par excellence si on tient à sa vie !!!! Rien qu’à voir le cimetière de boutres près du port, cela ne donne pas vraiment envie !
Sorte de petits bateaux en bois, il en existe plusieurs sortes : à voile, à rame ou à moteur. Quand on a 24 heures à passer dessus, surtout en période d’alizés violents ou pendant la saison des pluies, il vaut mieux éviter les deux premiers !
Ceux qui relient le port d’Antalaha à celui de Tamatave sont des bateaux que l’on repère de très loin « grâce » à la fumée noire qu’ils dégagent. Les locaux ne savent jamais s’ils sont en train d’arriver ou s’ils prennent feu !! Mais pour l’instant le « Jenna III » fait depuis longtemps cette traversée sans trop de problèmes et c’est lui qui va les emmener (avec le minibus !) à bon port dans quelques jours, avec une addition assez salée pour le transport.
J’arrête ici les fameuses aventures de nos « compagnons » de route…pour l’instant.

Voilà pourquoi notre arrivée a semblé si peu importante dans un tel contexte ! Nous étions autonomes, et pas vraiment liés à eux et à leur projet initial, des frais énormes de réparations et de transport qui n’entraient pas dans leur budget… Mais cela n’excuse pas forcément tout… Et puis je pense que la directrice ne nous prenait pas vraiment au sérieux. Pour elle, ils étaient LES artistes et nous n’étions que des clowns sans prétention. Nous voulions être intégrés à la troupe, nous n’avons fait que l’effleurer…

Nous avions l’impression qu’Antalaha nous maudissait. Nous avons lutté pour venir jusque dans cette ville et rien ne nous souriait. Jusqu’à la rencontre d’un jeune couple de français, qui était en voyage depuis quelques mois sur l’île, avec qui nous avons vraiment beaucoup sympathisé, bonjour à vous Vinz et Laure (c’était notre premier contact depuis notre arrivée à Mada avec des vazahas !) et surtout avec Mathieu, le directeur de l’alliance française, qui a totalement changé notre destin ici, pour notre plus grand bonheur…

Côté spectacle, de même, pas mal de soucis. Lundi de Pentecôte, jour férié, Mathieu a fait une grande pub les semaines précédentes (nuits blanches à faire la banderole qui donne sur la rue principale, radio, télévision, bouche à oreilles…) afin que les habitants puissent assister à une journée sans précédent dans leur ville. Et comme par hasard, la pluie est venue tout gâcher. Il faut savoir que dans la région, il y a la saison des pluies, de Novembre à avril, puis la saison où il pleut !!! Seuls les bretons et les belges installés ici semblent heureux de voir qu’il pleut autant, sinon moins, que chez eux !!
Du coup, une centaine de personnes est venue assister aux représentations. La troupe fait son spectacle pendant que nous nous maquillons et boum ! Une demie-heure après avoir commencé, coupure d’électricité de la part de la Jirama, l’EDF du pays, un lundi de pentecôte, en plein après-midi... Et quand la Jirama coupe le courant cela peut durer cinq minutes comme cinq heures. D’habitude elle prévient les habitants, cette fois-ci, comme par hasard, non. Heureusement pour la troupe, il y a quatre très bons percussionnistes qui font la musique du spectacle. Exit les cabosses, mais au moins ils peuvent continuer de jouer en improvisant sur les numéros d’acrobaties, de tissu, de jonglage, de danse. Un mélange curieux d’art « comptant pour rien », pardon « contemporain », pas très accessible pour un public Malgache non-initié, et en particulier pour les enfants qui avaient envie de voir quelque chose de moins…conceptuel.

Bref, le spectacle se termine et c’est à nous d’entrer en scène. Toujours pas d’électricité… donc pas de musique… donc pas de spectacle… grande déception… première représentation annulée depuis toujours… justifications douloureuses auprès du public… sentiment d’échec complet sur Antalaha que nous devons quitter le lendemain… avec une troupe qui, mis à part un ou deux, ne vient même pas nous dire un seul mot, préférant démonter le matériel le plus tôt possible… l’électricité revient dix minutes après notre annonce… tout le monde est déjà parti, la sono et l’éclairage démontés… c’en est trop… on ne peut pas quitter cette ville sur ce constat amer… c’est un signe…

Et voilà que Mathieu, avec qui nous avions bien sympathisé et à qui nous avions livré nos états d’âme, vient nous voir pour nous proposer de rester ici afin de donner quelques représentations dans des écoles et des villages du coin, de nous loger chez des amis à lui, et si possible de créer un spectacle avec une classe de CM2 dans une école française avec qui il a l’habitude de travailler !!!

N’avez-vous jamais eu ce sentiment d’être au « bord du gouffre », en se disant qu’il y a forcément une raison à cela, et que l’instant d’après, vous surplombez la vie avec une joie de vivre parce que quelqu’un vous a tendu la main ?? Cela nous arrive très souvent de voir que c’est lors de nos pires galères que l’on fait nos plus belles expériences, nos plus belles rencontres. La vie est comme un trampoline : plus on s’enfonce, plus haut et plus loin on rebondira…

Et nous voilà le lendemain, avec du travail pour toute la semaine, et logé dans une maison encore plus grande est plus belle que dans mes rêves… chez des gens encore plus beaux et plus grands que leur maison !!

Pascale et Benoît, encore un grand merci pour TOUT, sont de cette catégorie de personnes qui cassent tous les préjugés que chacun peut avoir sur la richesse. Ils sont de ceux qui prouvent que l’on peut être riche et altruiste, généreux, honnête, intègre.
Alors oui, ils vivent dans la plus grande maison de la ville, une villa de style maison coloniale (construite il y a seulement 12 ans), avec plus de 1500m2 de surface habitable, au plafond gigantesque de plus de 5m de hauteur, aux innombrables chambres et salles de bain, sans compter le jardin arboricole qui donne sur la plage, le terrain de tennis, les domestiques…mais tout ce luxe ne leur appartient pas.
Benoît est directeur d’une entreprise spécialisée dans la vanille bio. Mais le propriétaire n’est autre que la groupe Henry Fraise, une des plus grosses fortunes au monde grâce à ses multinationales. La famille Fraise lui a légué ce poste et la demeure (qui se trouve à 20 mètres de l’entreprise) il y a deux ans. Il travaille comme un fou et de façon de très professionnelle, ne se repose pas beaucoup, mais cela ne l’empêche pas d’avoir des idées très sociales, d’être simple, drôle et un bon père pour ses deux enfants adoptés.
Pascale, quant à elle, est aussi douce et drôle que belle et généreuse. Elle travaille comme coordinatrice à l’alliance française et est une grande sportive. D’origine indienne, elle grandit dans une famille belge dès l’âge de deux ans. Autant dire que l’adoption est un mot qu’elle connaît mieux que quiconque. Alors le jour où, lorsqu’ils travaillaient tous les deux en Guinée, une des familles du village leur a supplié de s’occuper d’un magnifique orphelin de trois mois, ils ne purent qu’accepter ce petit bout de chou avec un sourire jusqu’aux oreilles, malgré la forte fièvre et la galle dont il était atteint. Quelques jours après seulement, le préfet, les imams et le père de l’enfant (ne pouvant subvenir à ses besoins) ont déclaré officiellement l’adoption de Thibault auprès de sa nouvelle famille. Benoît et Pascale ont continué à aider la famille naturelle de Thibault pendant les deux ans restés dans le pays.
Puis vint Madagascar et une nouvelle adoption d’un petit malgache. Le fils d’une des anciennes employées de l’entreprise de vanille, qui ne connaissait pas le père et qui ne pouvait pas non plus garantir la survie de l’enfant. Cela fut un peu plus long et plus compliqué administrativement, mais dans quelques mois Arnaud, 11mois, aura la nationalité belge comme son frère et ses parents.
Leur histoire nous touche particulièrement car c’est exactement celle que nous aimerions avoir. Nous avons appris beaucoup sur l’adoption et sur le fait que oui, il est bien plus facile et plus rapide, entre trois jours et quelques semaines ou mois, lorsque l’on réside dans le pays. Sinon, il faut attendre des années pour l’agrément, puis encore des années après l’avoir reçu, tout dépend ensuite des lois du pays. Du coup il est presque impossible d’avoir un bébé si l’on adopte à distance.
Et voilà que nous vivons avec notre rêve sous les yeux, avec ces parents brillants et ses enfants à l’énergie débordante et constamment en train de rire, dans cette maison de rêve, avec ces repas de rêve, ces lits de rêve, ces odeurs de rêve de vanille, de girofle, de cannelle qui sortent de l’entrepôt et qui parfument toute la journée l’air environnant…

Bref, l’endroit rêvé pour tomber malade… C’est ce que j’ai pensé (Milie) et je n’ai pas fait les choses à moitié ! Une angine blanche version tropicale… Je m’explique, j’ai du faire une bonne centaine d’angines depuis ma naissance (mes amygdales étant surdimensionnées et fonctionnant donc un peu comme un entonnoir au niveau des bactéries), mais avant celle-ci j’ignorais réellement ce qu’était une véritable angine blanche ! Oubliez immédiatement vos souvenirs d’amygdales couvertes de points ou de filaments blancs disparates, imaginez la totalité de la surface de vos amygdales recouvertes d’une épaisse couverture blanc jaunâtre, un peu comme un champignon vénéneux… HUUUMMM !!! Ajoutez à cela le fait que chacune d’entres elles avaient gonflé au point de toucher la petite glotte centrale, de sorte que celle-ci ne gesticulait plus joyeusement, mais restait collée sur l’une ou l’autre des montagnes adjacentes, laissant un espace de respiration de plus en plus restreint… Résultat 4O de fièvre pendant un jour et demi, couchée pendant 4 jours, un traitement anti-palud en plus des antibios (car ici qui dit fièvre, dit cure anti-palud au cas où, car si le palud s’installe il peut se transformer en neuro-palud et là en 48H t’es dead, alors les toubibs ne prennent pas le risque), et des nuits d’insomnie à m’imaginer avec une trachéotomie car je ne les voyais plus s’arrêter de gonfler ! Comme d’habitude, plus de peur que de mal, tout est maintenant rentré dans l’ordre, mais avec l’accident de moto de la semaine dernière ça commençait à faire beaucoup, que font les astres au dessus de ma tête ???

Nous avons donc prolongé notre séjour à Antalaha. Nous restons toute cette semaine ici, afin d’honorer nos engagements vis-à-vis de l’école française et de Mathieu. Au programme, des après-midi d’ateliers avec la classe de CM1/CM2, six représentations en quatre jours dans d’autres écoles, à l’alliance française et au village des lépreux non loin de la ville.

Nous reprenons la légendaire route de Vohémar-Ambilobe samedi, sans doute celle qui m’a valu mon angine étant donné la quantité de poussière, pluie et vent que le voyageur ingère pendant le périple ! 21H de 4X4 jusqu’à Ambilobe, il nous restera ensuite à rejoindre Mahajanga, mais là nous n’avons encore jamais fait la route, surprise… (il paraît qu’elle n’est pas trop pire !) Nous serons alors sur la côte ouest, d’où nous prendrons le bateau qui nous mènera aux Comores par le canal du Mozambique. (Allez sortez vos atlas, vous verrez mieux et c’est tellement beau une carte !)

Pour ce qui est du feuilleton « la caisse en bois », le Loulou ronflant comme un bébé à mes côtés, je me permets de prendre la suite. Vous allez être déçus par la chute, d’autant que mes talents de narration n’égalent en rien les siens. Nous avons fini par trouver une solution nettement moins onéreuse que tout ce que nous avions envisagé auparavant. En tout cas, nous espérons bien ne plus en reparler, surtout pour Pascale, qui rentre en Belgique en juin. Son avion s’arrête à Paris, d’où elle prend le TGV pour Bruxelles. N’étant pas trop chargée, elle nous a donc proposé de prendre la caisse avec elle, à la condition évidemment que quelqu’un vienne la chercher pour nous à l’aéroport Charles de Gaulle. Luis a donc soudoyé toute sa famille, jusqu’à ce que Sylvia et José lui promettent que l’un ou l’autre irait la chercher, cette fameuse caisse !!! Récompense pour le courageux qui s’y rendra : il y a, à l’intérieur, 1 kilo de la meilleure vanille que l’on puisse trouver au monde (4O euros le kilo à la source, quand même !), elle est magnifique, parfumée, gorgée de sève et sent le chocolat. Mais attention ne la gaspillez pas, une gousse peut être utilisée 3 ou 4 fois, si elle est soigneusement lavée et séchée entre chaque utilisation… Elle doit être conservée dans son papier d’origine (papier paraffiné), au frais (frigo ou même congélateur) et nous devrions en avoir pour une bonne dizaine d’années…
Voilà pour les courageux qui sont arrivés au bout du texte…

A bientôt pour de nouvelles aventures,

Milie & Luis