dimanche 22 juillet 2007

Mahajanga, parc naturel, formation et spectacles, corruption et tourisme sexuel, tournée nationale.

Manaone Tompoko,

Bon, le Loulou en a marre de passer ses soirées à rédiger des articles que personne ne lit de toute façon (à part Fantouz, Lita, Cath et nos amis mahorais !), alors il me demande de prendre le relais. Grâce à mon esprit synthétique (a-t-il dit !), je devrais réussir à dire en quelques mots ce qu’il est advenu de nous à Mahajanga…

Mahajanga, la ville au nom qui sonne bien à l’oreille, où le plus gros baobab du pays (14 mètres de circonférence) sert de rond-point sur la corniche, ville au climat clément toute l’année, protégée des cyclones en été et où les températures restent douces en hiver… Bref, un petit coin de paradis où il fait bon vivre, voire même où l’on songerait volontiers à poser ses valises ! Mais, car il y a toujours un « mais », à partir de début juillet, elle devient la côte d’azur version malgache, le lieu de vacances des tananariviens (les parigos !), sans compter tous les vazahas, et perd drôlement de son charme !



À notre retour des Comores, nous avions 4 jours devant nous, avant le début des stages que nous animions, l’occasion de partir un peu à la découverte du pays (c’est-à-dire de visiter autre chose qu’un orphelinat, une école ou une alliance française !!!). Direction le parc national d’Ankarafantsika ! 2 jours très chers pour notre petit budget serré, mais un bon bain de nature ! Nous avons pu observer de nombreuses espèces de lémuriens (le grand acrobate noir et blanc Sifaka, le tout petit nocturne microcèbe, les lépilémurs qui dorment toute la journée enlacés dans les bras les uns des autres et le lémur brun), nous avons quelques bonnes vidéos d’ailleurs !


Il y avait aussi des centaines d’oiseaux et mon homme m’a initiée aux joies de l’ornithologie. Je sais maintenant reconnaître les couas (huppé ou de coquerel), le très rare martin-chasseur orange flamboyant et son cousin plus commun le martin-pêcheur, le majestueux gobe-mouche du paradis, les coucals juvéniles, les drongos, la huppe faciée, les ibis et les aigrettes noirs, les bihoreaux, les guêpiers tout verts et masqués et tant d’autres… C’était assez drôle de se retrouver à arpenter la forêt, armés de nos caméras, appareils photos, jumelles et lampes torches pour les nocturnes, sur la pointe des pieds, guettant le moindre bruissement de feuille, chuchotant pour se prévenir d’une nouvelle découverte, une très belle aventure. Nous avons pu aller visiter aussi l’élevage des tortues à soc et tortues d’eau à queue plate, deux espèces menacées d’extinction, élevées pour la reproduction, puis relâchées ensuite dans leur milieu naturel. C’était chouette pour nous de les voir en chair et en carapace, car Gerald Durrell leur consacre tout un chapitre dans son livre « le Aye-Aye et moi » que nous avions dévoré quelques semaines plus tôt. Nous avons aussi pu rendre hommage à 3 majestueux baobabs, endémiques et derniers représentants de leur espèce. En effet, leur histoire est terrible et magnifique : ces baobabs sont dépendants d’une espèce spécifique d’oiseau qui mange leurs graines, les digèrent et les redonnent à la nature à travers leurs excréments. Le passage dans le système digestif de l’oiseau est nécessaire à la germination de la graine. L’oiseau ayant disparu depuis 500 ans, ces baobabs ne peuvent se reproduire. Des scientifiques ont tenté l’expérience avec d’autres espèces d’oiseaux cousines, en vain, c’était celui-là et pas un autre ! La nature n’a pas fini de nous étonner.




Et puis il y eu aussi le caméléon rhinocéros, avec sa tête de clown (son profil ressemblant étrangement à celui de mon cher et tendre, cf. la photo) et de nombreux serpents, dont un, qui n’a rien trouvé de mieux à faire que de venir ramper sur mes petits pieds dénudés (et oui, c’était pas en rando, mais vers la tente, ils m’attaquent quand je suis en tong, les malins !). J’ai poussé un cri qui a fait tremblé toute la forêt et mourir de rire Luis, le reptile quant à lui, s’est enfui sans me faire le moindre mal, plus terrorisé que moi-même !!!

Ensuite à Mahajanga, eh bien, le boulot à l’alliance française, il faut bien gagner son hébergement et ses repas de clowns ! J’ai commencé à animer un stage de danse avec les petits bouts de 4 à 12 ans, un groupe super sympa, qui me couvrait de câlins à chaque début, chaque pause, ou chaque fin de cours. J’ai aussi co-animé un atelier théâtre avec Hanitra, enseignante malgache qui débutait et avait besoin de soutien. Luis a animé un stage jonglage-acrobaties, avec très peu d’inscrits malheureusement ! Les parents ont peur de la nouveauté, ils n’ont pas osé inscrire leurs petits. Ils sont aussi victimes de la psychose qui règne en ce moment à Mahajanga, nourrie par les médias en mal de sensations fortes. Il y aurait de nombreux enlèvements d’enfants, certains corps auraient été retrouvés mutilés, découpés en petits morceaux, on n’arrive pas très bien à mesurer la part de réalité dans tout cela. Le résultat certain, c’est que les parents cloîtrent leurs enfants à la maison… Nous animions aussi ensemble, en fin d’après-midi, soit des jeux collectifs, soit la chorale, en alternance, un jour sur deux. L’occasion de nombreux fous rires et de cris avec notre bande de mômes, au désespoir des profs de français de l’alliance qui avaient bien du mal à capter l’attention de leurs élèves. L’occasion aussi de mettre en pratique la troisième voix du chant « Aoué » (merci Emma et les colocs !) que nous avons appris au téléphone ! Le stage s’est magnifiquement clôturé par une représentation à l’alliance des enfants et des clowns, sur le front de mer, au soleil couchant, s’il vous plait !

Ses stages nous occupaient tous les après-midi, nous avons donc mis à profit nos matinées pour proposer le spectacle à qui en voulait (ONG, assos diverses…). Les réponses sont restées frileuses alors que nous proposions spectacle et animation parachute gratuits, l’immobilisme malgache ! « Ah bien, on ne sait pas, nous n’avons plus d’électricité, faut louer un groupe électrogène, faut faire de la publicité, faut organiser, oh lala quelle histoire !!! » alors que les petits malgaches n’auront sans doute plus jamais l’occasion de voir un spectacle de clowns ! Même la Maison de la Culture a l’électricité coupée depuis 4 mois ! Ils n’ont pas payé les factures, du coup les artistes qui souhaitent se produire doivent fournir leur groupe électrogène ! Autant dire, qu’il ne se passe plus grand chose de culturel dans cette maison ! De plus, la psychose des enfants enlevés n’a pas joué en notre faveur, une asso nous a avoué qu’ils avaient peur que l’on enferme les enfants dans la salle de spectacle pour les massacrer ensuite. Luis et Milie, découpeurs d’enfants, on aura tout vu !!! Du coup, nous n’avons eu que deux matinées d’intervention, dans deux courageuses structures, qui ont osé prendre le risque de nous inviter ! L’association « enfants du monde » qui accueille des enfants des rues assez difficiles (le spectacle s’est bien déroulé mais le parachute s’est terminé par une bagarre), et la maison de quartier Manga où nous avons passé une superbe matinée (Luis a dû animer presque 2 heures de parachute avec les enfants, devant tous les adultes ébahis du quartier).

Nous avons aussi profité du week-end que nous avions entre les 2 semaines d’intervention pour nous rendre à Katsepy, petit village qui fait face à Mahajanga de l’autre côté de la baie. Au programme, petite ballade amoureuse sur les plages désertes le samedi et représentation du spectacle le dimanche… HUMMM !!! À l’arrivée, tout autre chose évidemment…



Moi qui espérais une baignade crapuleuse ou une sieste coquine sur la plage… Que nenni ! L’eau était boueuse et pleine de méduses. Elle ne donnait pas même envie d’y tremper le petit orteil (nous étions dans une baie et non pas faces à l’océan) et les plages visitées par de nombreux promeneurs ! Nous sommes alors partis à la conquête du cirque rouge, dont Marion (la directrice adjointe de l’alliance), nous avait indiqué l’emplacement, arpentant des kilomètres de sentiers broussailleux, rebroussant chemin, croisant zébus et lézards, sous un soleil de plomb ! Évidemment, nous n’avons jamais trouvé le soi-disant cirque rouge, nous apprendrons plus tard que nous avions oublié un détail essentiel : le cirque n’est accessible qu’à marée basse et nous l’avons cherché à marée haute, ce qui explique qu’une falaise nous barrait la route ! Quelle équipe de winners les 2 là !






Pour le spectacle, ça a bien faillit mal se terminer aussi. Le village de Katsepy était censé nous accueillir à bras ouverts, étant donné qu’il ne se passe jamais rien là-bas, hors avec notre veine habituelle, nous sommes tombés sur l’unique week-end de l’année où il y a des festivités. Et pas n’importe quelle festivité, M. le sénateur était là, accompagné d’une bande de politiciens en tout genre, un chapiteau était monté sur la petite place centrale du village, les habitants des villages voisins s’étaient tous déplacés, et une effervescence exceptionnelle régnait dans le petit bourg. Le sénateur-organisateur nous a reçu après une heure d’attente, pour nous expliquer qu’entre les discours et les concours de danses traditionnelles malgaches, ce serait très difficile de nous caser. Peut-être demain, à voir… Le lendemain débarquent alors pour nous rejoindre : Marion accompagnée de Solange, Luis (un autre !) et Fechouan, chargés d’un lecteur CD, au cas où nous parvenions à jouer. Ce qui fut finalement le cas in extremis, les officiels ayant commencé à dire vers midi que les animations étaient terminées, nous les avons rattrapés avant qu’ils ne se sauvent vers le gargantuesque repas qui les attendait, et leur avons rafraîchi la mémoire. Ils nous avaient promis une représentation en fin de matinée, nous la feront ! Ils ont daigné rebrousser chemin et nous ne les avons pas ratés en cours de spectacle ! Ils n’ont pas regretté !
Mahajanga, ce fut aussi pour nous l’occasion de se frotter aux joies de l’administration malgache, un grand moment de bonheur !!! Pour faire bref, lorsque nous sommes arrivés à l’aéroport (à notre retour des Comores) le 29 juin, nous sommes tombés sur une espèce de vieille peau de douanière (encore pire que les hommes, les femmes quand elles ont du pouvoir !) qui, alors que nous détenions toutes les pièces à présenter pour obtenir comme précédemment un nouveau visa de 3 mois, nous a tout bonnement embobiné ! Elle nous a tamponné notre passeport, a écrit « trente jours » dans l’espace prévu à cet effet, et nous a raconté qu’en vertu de la nouvelle constitution, la procédure avait changée (depuis ce matin justement !), et qu’il ne s’agissait pas là d’un visa mais d’une entrée provisoire que nous changerions sans le moindre souci au service de l’immigration, après être passés au bloc administratif de la ville pour payer notre dû. Après nous être plaints de la lourdeur de ce nouveau dispositif, nous l’avons finalement crû, naïfs que nous sommes ! Nous n’avons pas été longs à nous apercevoir qu’il s’agissait bel et bien d’un visa d’un mois, et d’un mois seulement ! Deux solutions s’offraient alors à nous : sortir du pays le 29 juillet ou fournir un dossier d’une dizaine de pièces (type certificat d’hébergement, timbres fiscaux, attestation de change de devises, …) repasser par la case départ et repayer 30 000 ariarys ! Aucune des 2 ne nous convenait, nous sommes allés nous plaindre au service de l’immigration, nous revendiquant victimes d’un abus de pouvoir de la douanière. Passant de bureau en bureau, nous avons ainsi remonté la hiérarchie jusqu’à nous retrouver face à la big boss (qui s’est avérée être une amie de la dite douanière) et qui nous a répondu « Vous savez, personne ne vous a demandé de venir à Madagascar », Luis était à deux doigts de lui en coller une ! Devant tant de bonne volonté, nous avons décidé de ne pas leur verser un centime, et de régler cette histoire à Tana. La suite (pas moins épique vous verrez !) au prochain épisode.


Et Mahajanga, ce fut enfin, le moment où nous apprenions que Mathieu, notre ami directeur de l’alliance d’Antalaha, était en train de se transformer en manager. À la réunion à Tana de toutes les alliances françaises de l’île, Mathieu n’a pas tari d’éloges à notre sujet, et nombre de directeurs se sont dits vivement intéressés pour nous recevoir. Résultat, nous bûchons depuis sur l’organisation d’une tournée (qui l’aurait cru au départ du voyage ?), Mathieu faisant le lien entre nos propositions et les demandes de chaque alliance. Dans l’état actuel des choses (mais les réajustements ne sont sans doute pas terminés), nous tournons du 16 août au 30 octobre, dans les alliances de Sainte-Marie, Morondava (à confirmer), Tuléar, Fort-Dauphin, Ambositra, Fianarantsoa, Antsirabe, Tananarivo et Tamatave. Plein de boulot en perspective, plus beaucoup de temps pour visiter le pays, mais quels souvenirs !!!



Voilà en gros nos aventures mahajangiesques ! Je ne m’étendrais pas sur ma 3ème angine malgache en 3 mois. Elle aura surtout eu comme effet de me décider à arrêter mon traitement antipaludéen. La doxycycline (qui m’a été prescrite par un médecin réunionnais) est un antibiotique qui agit contre le palu, mais qui doit sans doute participer à fragiliser mes défenses immunitaires. J’ai tout stoppé, on verra si les angines disparaissent. Luis, lui, ne prend rien depuis le début du voyage et pour l’instant pas de crise, pourvu que ça dure !






Je ne m’étendrais pas non plus sur le tourisme sexuel qui nous écoeure de plus en plus. Les rues sont pleines de vieux vahazas rougeauds au bide graisseux qui se baladent avec leurs jeunes et jolies malgaches, leur faisant miroiter des avenirs meilleurs en agitant quelques billets. Elles, crédules, espèrent un mariage, un départ en Europe, au pire un peu de monnaie. Il y a sans doute quelques rares histoires d’amour dans tout cela. Mais nous avons été témoins de conversations abjectes entre hommes expatriés, débattant sur les culs et les couleurs des chattes (je cite !), et que plus elles sont jeunes, meilleur c’est ! À vomir ! N’allez surtout pas chez « Marco Pizza », le patron sera malheureusement quoi faire de vos sous…





Pour finir, Mahajanga ce fut de très bonnes bouffes (nous regretterons ces bonnes tables et le charme de ses brochettes sur le front de mer au coucher de soleil), le tressage de mes cheveux (Luis passe ses journées à me dire que je suis trop belle, je commence à craindre le moment où je vais devoir les enlever), une sublime expérience, près de la plage de Grand Pavois, avec six sifakas (dont une maman et son tout petit) venus lécher les mains et le bout du nez de Luis après nous avoir scruter de près à la recherche de quelques fruits ou feuilles… en vain (hors de question de nourrir ces lémuriens en totale liberté) et aussi de très bons moments en compagnie de Marion, Jean-Jacques, Chantal, Fechouan, Luis, Solange et les autres… Merci à vous pour tout.

Sur ce je vais clore le chapitre, je n’ai pas réussi à être très synthétique, tant pis pour la mission !

J’embrasse très fort tous ceux que j’aime, et même les autres, tiens, soyons fous !

Milie.

vendredi 13 juillet 2007

Enfin les cartes !!!


















Voilà enfin les cartes, avec notre parcours, tant attendues depuis si longtemps... par certains !

jeudi 12 juillet 2007

Les clowns et Madagascar

Notre tournée Malgache...à suivre.

lundi 9 juillet 2007

On continue avec les Comores... pour les courageux lecteurs !!

Et puis, il y a eu Mohéli, la majestueuse Mohéli.

La plus petite des îles de l’archipel (30kms de long sur 10kms de large), la moins peuplée (35000 habitants) et sûrement la plus préservée et la plus protégée grâce à son peuple soucieux de son environnement.

Cette île est encore plus belle que n’importe quelle carte postale paradisiaque ou vos rêves les plus fous en matière d’île déserte que la nature domine. Ici, vous pouvez marcher le long des plages superbes de sable blanc pendant des heures sans rencontrer qui que ce soit. Absolument aucun touriste étranger ne vient dans cette île méconnue et qui pourtant regorge de richesses naturelles. C’est l’un des meilleurs spot de plongée au monde et pourtant il n’y a pas de centre de plongée touristique. L’avantage écologique pour cette île, ou l’inconvénient économique pour ses habitants, réside dans le fait que les occidentaux n’orientent pas leur choix de vacances pour des pays musulmans. Tant mieux pour nous.

C’était la première fois que nous prenions un petit coucou pour faire la liaison entre les deux îles. 17 passagers et deux pilotes. Aucun steward pour vous servir ou pour expliquer les consignes de sécurité en cas de crash dans la mer. De toute façon, on avait beau chercher, impossible de mettre la main sur les gilets de sauvetage ! Une de nos belles rencontres, Alban, avait eu un accident, il y a quelques mois, avec cet avion lors du décollage. Il n’avait tout simplement pas voulu décoller et a fini dans le décor près de la mer. Les passagers étaient rentrés à l’aéroport à pied, après avoir pris auparavant leurs bagages situés à l’arrière de l’avion !

Anedocte qui nous restait dans la tête au moment du décollage. Surtout que les pilotes évaluent la surcharge de l’avion par rapport au niveau d’aplatissement des roues. Si elles sont à moitié gonflées, alors l’avion peut partir. Plutôt rassurant !

Mais le vol se déroula sans encombres, il nous permit même de traverser d’ouest en est Grande Comore et d’admirer les différents paysages qui la composent. Des plages de sables fin ou de roches volcaniques au volumineux volcan qu’est le Karthala (2630m) déchirant les reliefs de l’île par ses nombreuses coulées de lave.

Arrivée à l’aéroport (à peine plus grand que notre maison) de Fomboni, la capitale de Mohéli. Nous avons été accueillis chaleureusement par le directeur de l’alliance française de l’île, Ahmed Bourat. Avec lui, tout est possible, rien n’est un souci. Cet ancien d’un grand charisme, d’une joie de vivre et d’une volonté de faire plaisir à tous ses invités lui avait valu le sobriquet de Papaoui. Il nous emmena à la pointe sud est, dans le charmant petit village d’Itsamia, où les garde-bœufs et hérons cendrés couvent paisiblement leurs futures progénitures dans les baobabs, où les roussettes, variété de chauve-souris diurnes présentes partout aux Comores, font près de 80 cms d’envergure et où l’écotourisme est de prime. Le week-end étant consacré au deuxième tour des présidentielles, il nous était impossible de se donner en spectacle… c’est ce que l’on pensait tout du moins. Et puis nous voulions profiter d’un des plus beaux endroits de l’Océan indien en matière de plongée. Un peu de repos ne nous ferait pas de mal après 3 jours de spectacle d’affilée. Seulement en arrivant, dans notre élan de vouloir toujours faire rire et rêver les gens, nous avons tout de même demandé aux villageois s’ils étaient intéressés pour voir des clowns chez eux. Cinq heures plus tard, Matou, le responsable du parc marin et de la protection des tortues marines dans cette région, avait installé le nécessaire pour pouvoir jouer devant « la maison des tortues ». Et voilà que chaque villageois avait apporté sa chaise pour assister à quelque chose qu’ils n’avaient jamais vu auparavant. Ils pouffaient de rire à chaque gag, restaient bouche bée devant nos tours de magie (certains parlaient de « miracle » ou de « démons »), partaient en courant quand je m’énervais ou je m’approchais des femmes afin de les séduire, pleuraient quand Milie quittait la maison…


Tous ne parlaient que de cela toute la nuit, certains en ont rêvé, d’autres l’avaient ébruités le lendemain jusqu’à Fomboni, à 25 kms du village !

Matou nous emmena voir, plus tard dans la nuit, les tortues marines qui venaient sur les plages d’Itsamia pour y pondre leurs 130 œufs. Spectacle magnifique de voir cette trentaine de mastodontes de plus de 100 kilos pondre des balles de ping-pong. Pour ce faire, elles remontent la plage à la recherche d’un sable bien humide avant de creuser un énorme trou à plus de 50 centimètres de profondeur. Ensuite, grâce à ses pattes arrières, elles creusent un autre trou en forme de poche où elles déposent ses œufs puis le rebouche avant de rejoindre la mer. Le tout s’est fait en deux heures.

Déçus de ne pas avoir pu voir les bébés tortues sortir de leur trou dans la nuit, nous avons décidé de retourner le lendemain matin sur ses plages aussi magnifiques que désertes. Une fois de plus nous n’avions pu qu’apercevoir les traces que ces centaines de bébés avaient pu laisser quelques heures auparavant. A leur éclosion, soit deux à trois mois après la ponte, tous les bébés tortues creusent ensemble vers le haut afin de remonter le tunnel vertical que leur mère avait bouché. C’est là que le drame commence : sur les 130 œufs, seulement une centaine réussira à éclore. Puis à la sortie du trou, ils doivent affronter les hordes de crabes la nuit et tenter de rejoindre la mer le plus vite possible avant que les corbeaux pies et les rapaces ne les attrapent dans leurs serres pour les manger. Plus des trois quarts des bébés seront déjà morts avant d’arriver dans leur milieu naturel. Mais une fois dedans, ils doivent éviter les poissons et encore ses prédateurs volants qui n’hésitent pas à revenir à la charge pour les attraper – un jeu d’enfant pour eux car les bébés tortues n’arrivent à nager qu’en surface. A peine 10% des bébés arriveront finalement à survivre. Dur dur la vie d’une tortue. Heureusement, elles se rattrapent par la suite en vivant plus d’une centaine d’années en moyenne, si évidemment elles ne sont pas chassées par l’homme pour les manger. Les femelles sont une proie très facile pour les braconniers car ils n’ont qu’à attendre leur arrivée sur la plage pour les attraper. Les mâles quant à eux ne reviennent plus jamais sur la terre ferme, c’est pour cela qu’il y a de plus en plus de mâles que de femelles aujourd’hui. Et bien qu’à Itsamia, les villageois soient très sensibilisés sur la protection des tortues, les braconniers viennent des villes ou îles voisines pour continuer ce saccage. Ils dénichent les œufs, mangent et exportent la viande et vendent les carapaces. Et tant qu’il y aura des clients assez stupides pour les acheter, les tortues - comme bien d’autres espèces en voie d’extinction - ne connaîtront jamais la paix.

Déçus de ne pas pouvoir faire un peu de plongée pour nager avec les tortues et les raies, car la mer était trop mauvaise - l’hiver et les alizés étaient arrivés une semaine avant - et dépités de ne pas avoir vu un banc de bébés tortues, nous décidions de rebrousser chemin. C’est à ce moment là que l’on aperçu au loin une nuée de corbeaux pies et d’aigles se ruant sur le sable. Ni une ni deux, comprenant ce qui se passait, nous courûmes vers les « lieux du crime » pour tenter non pas de sauver, car il ne faut pas intervenir dans l’ordre naturel des choses, cela fait partie de la chaîne alimentaire, mais seulement pour apercevoir ces magnifiques bébés. Il n’en restait plus que trois sur la plage, les autres s’étaient déjà fait dévorés ou continuaient leur vain périple sous la menace constante des aigles.

Qu’ils sont magiques ces bébés tortues. A peine plus long qu’un pouce, leur carapace luisante encore toute fragile, leur minuscule tête préhistorique attendrirait n’importe quel dur à cuire - ah non, pas les braconniers. Dans leur tentative de s’échapper de nos mains, on a l’impression qu’ils nous saluent fièrement de leurs petites pattes avant.

Nous les relâchions au bout d’un moment, non sans avoir pris le temps de leur accorder le quart d’heure de gloire qu’ils méritaient, sous l’objectif de nos appareils photos et caméras vidéos (ah ces japonais !). Ils partirent à la hâte vers la mer, les vagues les repoussant une ou deux fois, puis nous les saluâmes bien fort en leur souhaitant bonne chance dans la vie… une dernière fois… avant que les aigles et corbeaux pies ne les attrapent avec une avidité et une facilité déconcertantes. C’en était fini pour eux…

Notre prochain rendez-vous se trouvait au sud de l’île. Le village de Nioumachoua qui fait face aux magnifiques îlots entourés de lagons couleur bleu ciel, vert turquoise. Un des meilleurs spot de plongée au monde où l’on peut admirer les requins marteaux, les bancs de thons, les baleines à bosse et les dauphins entre autres. Malheureusement, la mer était vraiment trop agitée ici aussi. Moi qui voulait absolument plonger depuis des mois, voire des années, le temps se riait de nous encore une fois. De plus, impossible de sortir le parachute ou jouer le spectacle le jour des élections présidentielles, surtout dans le fief du probable futur président de l’île. Donc nous avons passé la journée avec notre nouveau camarade François, et Marie - qui nous accompagnait depuis le début à Mohéli - à jouer au tarot et à nous baigner au bord d’une plage sublime en bordure d’un lagon. Bon, c’est sûr, ça n’a pas l’air très intéressant ce que je dis là !

C’est alors que nous eûmes avec Marie la folle idée de traverser ce lagon où d’habitude, quand la mer est calme, on peut nager avec les bancs de poissons, les tortues et les raies, afin de rejoindre une petite plage déserte qui se trouvait en face. Cela faisait bien 5 ans que je n’avais pas autant nagé. Pour un ancien nageur et poloïste, il était vraiment temps que je m’y remette. 1500 mètres dans une eau vraiment agitée et tellement trouble que j’avais l’impression de faire constamment du « sur place ». Marie eut la sagesse de rebrousser chemin assez vite. Me sentant en confiance et heureux de retrouver des sensations perdues depuis bien trop longtemps, je décidais de continuer ce « défi ». Et voilà que mes palmes me jouent de vilains tours à 400 mètres du but. Les fixations ne cessent de se détacher et il s’en fallut de peu pour qu’elles ne disent au revoir à mes pieds, préférant se reposer au fond du lagon. Vu la visibilité, il n’y avait aucune chance de les récupérer. Alors je tentais de les refixer tant bien que mal, les vagues me faisant boire la tasse dans les moments où je me concentrais le plus, mes pieds heurtant des choses solides de-ci de là : rochers, tortues ou autres ? Je n’en savais rien. A ce moment-là, j’étais vraiment content de mon passé de nageur pour ne pas céder à la panique.

Arrivé enfin sur la plage promise, j’étais pris entre la satisfaction d’avoir rejoint la terre ferme, réussi ce défi personnel à la con et la peur de faire le même parcours, mais cette fois-ci à contre courant !!!

Et donc me voilà sur cette plage déserte dont je ne sais comment en sortir ! Quel naze ! J’explorais en vain les éventuels chemins, tombais nez à nez avec une énorme carapace de tortue cachée entre deux bananiers pour enfin me rendre à l’évidence que je ne pouvais traverser la forêt ou le champs de bananiers pieds nus.

Tel Robinson Crusoé, je décidais alors de suivre les traces de pas longeant la plage ! Seulement, elles finirent peu de temps après, sur les gros rochers qu’il fallu arpenter. Ensuite je me retrouvai encore bien seul dans la mangrove avec mes amis les traces de pas, les gros crabes (certains atteignent plus de 1,5 kgs) et oiseaux de cette végétation si particulière qui faisait ressurgir en moi bien des souvenirs d’Amérique latine.

Deux choix s’imposèrent peu de temps après : continuer à longer la mangrove (ce que j’aurais dû faire) ou m’enfoncer dans la forêt de cocotiers et de manioc (très beau paysage mais pas très bonne idée !). Mes pieds de petit blanc étaient mis à rude épreuve lorsqu’il fallu marcher sur des branches épineuses et des cailloux tranchants.

Et pour une fois, je regrettais de ne pas être en Inde car dans ce pays, à l’inverse d’ici, on a beau se retrouver dans un décor totalement désert, il y aura TOUJOURS un indien qui sortira de nulle part, vous empêchant de profiter de ce sentiment d’être seul au monde. Heureusement, j’aperçu assez rapidement une ligne électrique au loin qui devait suivre la route reliant le petit village de Wallah à Nioumachoua. J’étais sauvé !

Cette route bitumée défoncée et chauffée par le soleil me faisait regretter la forêt que je venais de traverser ! J’étais cependant à la fois inquiet et hilare de croiser des comoriens dans une telle tenue : vêtu d’un petit caleçon avec dans mes mains un masque, un tuba et une paire de palmes ! Situation totalement surréaliste dans un pays musulman, qui plus est le jour des élections présidentielles, où un couvre feu et une interdiction totale de circuler tout le week-end ont été décrétés afin d’éviter les fraudes électorales qui sont monnaie courantes ici !!

Mais je ne croisai pas un comorien, mais plutôt deux militaires Anjouanais postés à l’entrée du village. Je pouvais lire sur leur visage à la fois de l’incrédulité (tu m’étonnes) et de l’inquiétude devant ce « mozongo » à l’air louche. L’un d’entre eux s’écarta de sa voiture et pris son arme à la main au moment où je m’approchai de lui. Pour le rassurer, je m’accostai contre sa voiture (technique de gestion de conflits physiques et verbaux !) afin qu’il puisse penser que, d’une, il pourra m’immobiliser au cas où cela dégénère et, de deux, que je n’étais pas un mercenaire venu par bateau pour contrecarrer les élections. Vous devez sûrement rigoler mais il paraît que cela est déjà arrivé dans l’histoire de cette île.
Et voilà qu’il me pose des tas de questions aussi stupides que ses conclusions :

« Vous venez d’où ?
- De la petite plage de Mojio.
- Qu’est ce que vous êtes venus faire ici ?
- Du tourisme.
- J’ai pas entendu parler d’un bateau de touriste qui devait accoster ce week-end
- C’est normal, je suis venu en voiture.
- En voiture ? Ca c’est pas possible monsieur.
- Bah si, regardez y a bien une route sous nos pieds !!
- Donc vous venez d’où ?
- D’Itsamia, je suis arrivé hier.
- C’est pas possible, la route d’où vous venez mène à Wallah. Itsamia, c’est de l’autre côté de l’île.
- Merci, ça je sais. Mais je vous ai dit que j’arrivais de Mojio. Je viens de traverser la baie, je suis arrivé sur la plage de Mojio, j’ai eu des problèmes de palmes, j’ai préféré rentrer à pied jusqu’à l’hôtel des baobabs où je dors, et là je suis perdu.
- Mais par là, c’est pas Mojio, c’est Wallah.

- Vous êtes sûr que vous êtes d’ici ? Bon…euh…comment vous faire comprendre qu’il y a plein d’autres endroits que Wallah par là ?
- Votre passeport s’il vous plait. »

A ce moment là, j’ai cru que j’allais éclater de rire, mais je me suis difficilement retenu. Comment pouvait-il penser en me voyant dans un pareil accoutrement et encore tout mouillé que je puisse avoir mon passeport sur moi ?!!!!!!

Je lui dit « calmement » que mon passeport était à l’hôtel et qu’il était le bienvenu s’il voulait le vérifier mais que maintenant je voulais arrêter de me promener à moitié nu devant les villageois, et surtout villageoises, car cela me m’était mal à l’aise.

Comprenant la stupidité de sa question, je pense, il décida de me laisser tranquille tout en me disant qu’il viendrait jeter un coup d’œil à mon passeport le soir même. Je ne le revis jamais. Un villageois me ramena jusqu’à mes amis et ma chérie qui s’inquiétaient de me voir au loin, immobile dans la baie, avant de se rendre compte que ce n’étaient que deux rochers sortant de l’eau !!

Le soir même, la fête commença au loin en apprenant les résultats des élections. Mohamed Ali Saïd, le petit enfant du village, était élu président avec une très large avance. La veille, toute la nuit, et pendant toute la journée, les partisans du président sortant Fazul et ceux de Ali Saïd, n’avaient cessé de s’épier afin que les uns ou les autres n’entrent chez les gens pour les corrompre avec un peu ou beaucoup d’argent.

Le gérant tout heureux de la nouvelle, nous apprît le lendemain avec tristesse que l’un de ses fils avait été légèrement brûlé par de l’eau chaude à cause d’une partisane de Fazul déçue. Elle avait lancé de l’eau bouillante sur ceux qui fêtaient pacifiquement la victoire de son adversaire. Alors que d’autres pro-Fazul avaient rejoint les soi-disant adversaires, mais avant tout voisins, amis ou famille pour faire la fête avec eux jusqu’au petit matin !!!

Le responsable du croissant rouge à Mohéli, Ambdi Madi Boina, nous avait invité à à jouer dans son village de Ouanani. A notre arrivée, tous les villageois furent agréablement surpris de voir qu’enfin des étrangers s’arrêtaient chez eux - sans qu’ils attendent un taxi brousse vers l’est pour Itsamia ou l’ouest pour Nioumachoua et Wallah. C’était avec une grande joie et une grande curiosité que les petits comme les grands vinrent scruter le moindre de nos faits et gestes chez Ambdi Madi. Nous discutâmes des élections et comment le président sortant était détesté dans ce village également. Beaucoup ici sont, ou on été, des fonctionnaires dont les non paiement de salaires s’élevaient à plusieurs mois ou années. Il paraît que le jour des élections, une camionnette des partisans de Fazul s’était promenée dans le village pour racoler les potentiels électeurs (mais où étaient donc les observateurs internationaux pendant ce temps-là ??) Du coup, beaucoup ont pris l’argent de Fazul et ont quand même voté pour Ali Saïd, question de reprendre un peu ce qu’il leur était dû depuis 5 ans et d’arnaquer doublement leur ancien arnaqueur de président en votant pour son adversaire !

On nous procura un générateur pour jouer près du terrain de foot situé en plein centre ville. Puis l’artiste du village, Papaké, vint à notre rencontre pour être notre complice le temps d’un spectacle. Du haut de ses 1,90m et coiffé à la « Jackson Five », dont ses cheveux se finissaient par deux mini tresses à la gauloise, Papaké avait un look unique sur son île, peut-être même dans tout l’océan indien ! Je ne pus m’empêcher de toucher sa moumoute au début du spectacle pour voir si ce n’était pas une imposture capillaire. Il s’averra que non lorsqu’il fit la grimace au moment où j’ai tiré un peu plus fort. Bref nous avions briffé Papaké sur ce qu’il devait faire et il nous fit comprendre, qu’en tant qu’artiste, il avait l’habitude de cela et avait parfaitement compris son rôle. Tout comme les villageois, il fut tellement happé par notre spectacle, si unique en son genre pour eux (nos tours de magie nous ont conféré - une fois de plus - un statut d’être supérieur, être qu’il fallait craindre et respecter), qu’il en oublia totalement de mettre la musique ou de jouer de la percussion au bon moment. Il laissa des blancs si énormes que tout le monde se demandait pourquoi on ne continuait pas à jouer !!

Autre anecdote, beaucoup moins drôle celle-ci. Notre spectacle attira tellement de monde qu’un jeune motard traversant le village ne prêta plus attention à la route, l’espace de quelques secondes, préférant regarder cette masse autour des clowns. C’est au même moment qu’une petite fillette du village décida de traverser sans regarder la moto qui arrivait. Et Boum, ce fut le drame. La fillette n’eut rien de cassé heureusement. Cependant pour le motard, c’était une autre affaire. Il descendit immédiatement de sa moto et s’en éloigna assez rapidement, comprenant ce qui allait lui arriver. En moins de cinq secondes, tous les villageois s’étaient rués sur lui. À 70 contre 1, il allait être lynché sur place et il n’opposait aucune résistance. Telles sont les lois tribales quand la justice d’un pays n’existe pas. Alors sans vraiment réfléchir aux conséquences, je vins prêter main-forte aux deux seuls villageois qui tentaient de le protéger des coups de poing, des coups de pied, de le mettre complètement nu - pour lui voler ses affaires - ou des noix de coco qui se fracassaient contre son crâne. Et me voilà, déguisé en clown, au milieu de cette cohue hystérique, espérant que par mon statut de rigolo et de sorcier accomplissant des miracles, comme faire disparaître et réapparaître des foulards, je ne me prenne pas non plus des coups. Et effectivement personne ne me toucha, tandis que les deux protecteurs se faisaient insulter par le reste du village. Ils réussirent malgré tout à s’écarter de la foule pour l’emmener jusqu’au poste de gendarmerie, où il a dû passer un sale quart d’heure. Ça, je n’en su rien car, deux minutes plus tard, presque toute la foule en délire revint autour de la scène pour voir la fin du spectacle en toute sérénité !!! Nous restions tous les deux comme deux personnes prises entre l’étau et le marteau. Devions-nous arrêter le spectacle en guise de protestation, risquant de nous attirer une nouvelle colère des villageois - qui auraient trouvé les clowns beaucoup moins drôles et les sorciers beaucoup moins « intouchables », ou devions nous aller jusqu’au bout pour calmer les esprits - en se disant qu’il valait mieux pour le motard être entre les mains de la gendarmerie plutôt qu’entre celles des villageois ? Ambdi Madi, son fils sur ses genoux qui attendait avec impatience la suite, nous fit signe de continuer sans nous préoccuper pour le motard. Nous reçûmes une ovation générale à la fin du spectacle avec, en prime, des chants de rappel à n’en plus finir et un cortège d’enfants qui nous suivirent jusque chez Ambodi Madi !!! Matinée vraiment inoubliable !

La journée se finissait en apothéose par un spectacle non moins mémorable pour les villageois de Miringoni, à l’autre bout de l’île (heureusement qu’elle est petite !) où certaines femmes me fuyaient et où d’autres, poussées par les villageois, étaient prêtes à m’embrasser sur la joue pour 20 euros, nouveau « gag » dont nous faisions la première expérience. Il faut dire qu’aux Comores, comme dans beaucoup d’autres pays, moins à Mohéli paraît-il, certains citadins riches (notamment des grands notables) n’ont aucun scrupule à partir dans les villages chercher une jeune fille de famille pauvre. Ils promettent à ses parents (ces derniers voyant là une occasion unique d’avoir une bouche en moins à nourrir et, pour elle, d’échapper à la misère qu’ils ont toujours connue) que leur fille aura une éducation, qu’ils la nourriront bien et qu’elle vivra heureuse.

Seulement dès le premier pas dans sa nouvelle maison, la très jeune adolescente se voit munie d’un tablier de cuisine, d’un balai, d’un seau d’eau et d’un fer à repasser pendant de nombreuses années, et tout cela sans jamais voir un jour l’ombre d’un cartable, d’un crayon ou d’une paire de ciseaux (ah si… Pour la couture…).

Et si elle a le malheur d’en parler à ses parents ou qu’elle tient tête à ses tortionnaires de maison, il y aura toujours quelqu’un pour s’ « occuper d’elle » de façon très intime.

Heureusement des campagnes de sensibilisation sont de plus en plus fréquentes dans les villages pour éradiquer ce fléau social qui semble peu à peu décroître. Mais il est encore monnaie courante à Moroni par exemple. Alors je comprenais pourquoi cette villageoise à la fleur de l’âge était prête, poussée - dois-je le rappeler - par les autres villageois, à corrompre ses convictions personnelles et religieuses pour faire un petit bisou à un clown abject… et surtout pour 20 euros !!

Ce fut à l’alliance française que nous avons joué notre dernier spectacle à Mohéli. Programmé la veille mais intelligemment repoussé au lendemain par Papaoui car, Fomboni étant en effervescence au lendemain de la victoire d’Ali Saïd (certains villageois – après avoir fait la fête toute la nuit – avaient marché des quatre coins de l’île pour venir à la capitale), personne n’avait guère envie de voir des clowns ce jour-là. Notre public était principalement composé d’élèves et d’adhérents de l’Alliance, presque aucun enfant n’était présent. Jouer devant un tel public était du domaine de l’inédit. Ces adolescents et jeunes adultes étaient, en plus de cela, complètement survoltés par la venue de jeunes stars de la chanson comorienne. Imaginez un concert de Patrick Bruel et vous comprendrez l’ambiance qui régnait ! Et nous, nous devions jouer derrière cela ! Au début du spectacle, nous entendions des réflexions venant de toute part et qui faisaient rire tout le monde. C’est dans ces moments-là que l’on regrette de ne pas avoir appris les vannes comoriennes ! Mais plus le spectacle continuait, moins le public parlait, il murmurait maintenant quant à nos sorcelleries et riaient à nos numéros peu communs. Il finit par applaudir chaleureusement et en redemanda encore, après être resté coi les quelques secondes qui suivirent nos remerciements - refusant que notre représentation se termine si tôt !!

Avant de partir, la troupe de théâtre, qui avait également joué un peu plus tôt dans la journée, nous fit promettre de revenir bientôt travailler avec eux pour créer un spectacle ensemble, tellement ils avaient adoré ce que nous faisions. Nous espérons franchement ne pas rompre cette belle promesse car nous étions de plus en plus amoureux de cette île et de ses habitants. Inch’allah !

Nous avons fêté cette nouvelle belle journée par une belle cuite au ti’punch « rhum charrette » à cause de mon nouvel « alcoolyte » d’un soir, François (salaud ! t’as réussi à me corrompre !!), qui nous avait généreusement accueilli comme « alcoollocataires » dans sa grande maison !!

Rentrés en coucou, la tête en vrac, à Grande Comore, nous faisait déjà beaucoup moins peur. Heureusement, nous avons eu le temps de désaoûler un peu plus grâce à son heure et demie de retard. Il nous restait que deux petits jours à passer sur l’île avant de rentrer à Madagascar. Mais assez de temps pour faire un peu de plongée au tombant d’Itsandra (enfin!!) et refaire les guignols sur la plage pour les enfants de Moroni - qui n’avaient pu nous voir jouer auparavant - mais qui nous connaissaient déjà très bien, ou plutôt qui connaissaient déjà très bien notre parachute ! C’était également l’occasion de réunir tous ceux que nous avions côtoyés pour les remercier et leur faire, non pas nos adieux, mais simplement nos « Au revoir et à bientôt !», et aussi de trinquer avec François au rhum arrangé aux scolopendres, ces espèces de gros vers de terre croisés avec un perce oreille. Dégueulasse. Ne même pas en donner à ses pires ennemis. Il paraît que la bouteille était là en guise de décoration !

Nous remémorant l’épisode à l’aller du surplus de voyage et surtout la stupidité dont nous avions fait preuve - et qui nous avait coûté une somme colossale - nous étions fort décidé à ne pas refaire deux fois la même erreur. Transportant un maximum de poids dans nos bagages à main et habillés comme des expéditeurs partant pour l’Himalaya, nous espérions ne pas donner le moindre franc comorien à Air Madagascar.

39,2 Kilos sur 40 autorisés ! Chanceux ! Enfin cela était sans compter le surplus de 10 kilos qui se trouvaient dans chacun de nos bagages à main. Mais nous avons volontairement omis (il y va de soi) de les peser et de les enregistrer, comptant sur la « vigilance » des policiers et douaniers comoriens pour passer les contrôles sans notre petite étiquette de check-in. Par ailleurs, du fait du poids conséquent qu’elles représentaient, la trousse à pharmacie, celle à médicament et la tondeuse, faisaient en autre partie des objets contenus dans nos bagages à main. Bien entendu, des tas d’objets « illégaux », telles que ciseaux, médicaments, rasoir électrique, et bien sûr lime à ongles (Ah ! Que les « Têtes à claques » me manquent ! http://www.tetesaclaques.tv/ pour ceux qui ne connaissent pas encore ce petit bijou de site), ne pouvaient passer le contrôle scanner et bientôt ils découvriraient notre petite supercherie. Et bien, à notre plus grande surprise et pour notre grand bonheur, mais aussi à notre plus grand désarroi – car il faut se rendre à l’évidence que n’importe qui peut transporter n’importe quoi, ou dépasser la charge autorisée, sans que quiconque vienne vous dire quoi que ce soit – nous avons passé les contrôles avec une facilité déconcertante. Mais peut-être pouvons-nous dire que c’est tout à leur honneur de ne pas céder à la psychose mondiale du « tout sécuritaire », spécialement lorsque l’on connaît la tension politique qui règne dans cet archipel.

Nous partions enfin après avoir attendu pendant presque deux heures ce « décolle tard » qui répète ces vices quotidiennement à Antananarivo. Y’a t-il seulement un moyen de transport qui soit à l’heure à Madagascar ? Si oui, écrivez-nous ! Son retard fut compensé par le confort et la vue qu’il a pu nous fournir. Enfin un avion ne faisant pas de bruit et nourrissant plus en nous une certaine nostalgie, en surplombant tout l’archipel et notamment Mohéli, que le casse croûte qu’on nous servit !

Dès notre premier pas sur le sol comorien, nos affaires d’hiver furent vite retirées tellement la chaleur était plus imposante qu’aux Comores. A Mahajanga, il ne pleut presque jamais et, heureusement, l’hiver vient de débuter avec seulement ses 35° !

Mais ce fut plus les autorités que le temps qui échauffa réellement nos esprits à l’aéroport. Depuis le matin même, les lois de la nouvelle constitution (refusée à plus de 70% des malgaches en avril dernier, mais tout de même adoptée par le président et garant de la démocratie de son pays !) venaient d’entrer en vigueur en matière de renouvellement de visas. Auparavant, les touristes avaient le droit à 3 mois dès leur arrivée à l’aéroport. Aujourd’hui, ils doivent passer au « bloc administratif » pour évaluer la durée du séjour ! Nous voilà donc en possession d’un visa provisoire valable 15 jours. Pas étonnant que le tourisme soit en baisse dans ce pays magnifique. Les autorités font tout pour ne rien faciliter aux étrangers de passage. Cependant, il y a toujours du bon dans tout cela car l’Alliance Française n’aurait pu faire aucune modification de visa si l’on avait payé sur place pour ces trois mois et nous aurions finalement été obligés de quitter le pays au bout de son expiration. L’Alliance devrait normalement nous délivrer un visa « de courtoisie » afin de pouvoir travailler avec elle dans les prochains mois. Beaucoup de beaux projets en perspective, beaucoup de confirmation avant de s’enflammer.

Et nous revoilà à Mahajanga pour 15 jours à travailler avec l’Alliance française de la ville, à manger de succulents repas de rue pour une somme dérisoire, à découvrir un des plus beaux parcs naturels du pays et bien sûr à faire les clowns.

Pour finir (enfin !!), nous sommes passés à l’agence maritime voir si l’on pouvait changer nos francs comoriens contre des aryares malgaches et faire un petit coucou à notre ami Hassan, le directeur, qui nous avait vraiment aidé dans nos démarches administratives et déconseillé d’attendre son bateau qui devait nous emmener aux Comores. Il y a trois semaines, l’ « Ile de Mohéli » devait quitter le port de Mahajanga, non le 15 comme il était prévu mais plutôt vers la fin du mois de juin. Aujourd’hui, ce bateau n’est toujours pas parti. Pire, il ne devrait être opérationnel qu’à partir de mi-juillet, donc début Août !

Quelle bonne idée avions-nous eu ce jour-là de prendre le « décolle tard » malgache pour vivre cette aventure inoubliable !

Luis

Stress à Mohéli !


Encore une fois, sans commentaire. Enfin, si vous pouvez en faire !

vendredi 6 juillet 2007

Enfin les photos.

Ca y est ! Après quatre jours de tentatives infructueuses, j'ai enfin réussi à mettre les photos de Grande comore (en attendant les plus belles encore de Mohéli) et celles du spectacle sur le blog.
Il ne reste plus que la fin du voyage à Mohéli (pas encore fini car il est aussi long sinon plus que le précédent), les cartes et itinéraires à actualiser (promis c'est pour bientôt) et notre retour à Madagascar qui nous a encore réservé bien de belles surprises... et de nouvelles aventures en perspective à raconter.

A bientôt.

Les clowns.

P.S : Je sais que tout le monde est en vacances mais cela nous ferait parfois plaisir, en dehors de nos fidèles lecteurs qui nous répondent, d'avoir quelques messages de votre part. Il suffit juste de cliquer sur "commentaires" à la fin des articles que nous écrivons.

Des photos qui énervent !!!

Grande Comore. Sans commentaire !

mardi 3 juillet 2007

Les Comores, ahhhh, les Comores !

Salam Aleikum à tous,

Partis à reculons pour cet archipel méconnu, pour des raisons purement administratives de renouvellement de visa (et oui il nous fallait quitter le territoire malgache, et lorsqu’on est sur une île, ça fait tout de suite des bornes !), nous revenons après 2 semaines, séduits, comblés, avec l’envie au ventre d’y retourner pour explorer, ce que nous n’avons pu que survoler.

Tout a commencé à l’aéroport de Mahajanga, lorsque après plusieurs longues journées de taxi-brousse, nous nous faisions une joie de prendre l’avion, le moyen de transport sûr, efficace, moderne et ponctuel ! Première étape : l’enregistrement des bagages ! Comme nous ne sommes que des novices en matière de voyage, évidemment ni Luis, ni moi, n’avions réalisé que les 20 kilos autorisés par passager par Air Madagscar, étaient nettement en dessous de ce qu’autorisent les autres compagnies aériennes… Comme nous ne sommes que des clowns rêveurs, évidemment ni Luis ni moi, n’avions pensé à retirer de nos énormes sacs à dos, les livres que nous avons déjà tous les 2 lus, le duvet et nos pulls en laine (il fait 30° aux Comores !), nos chaussures de rando, l’ordinateur portable, etc… que nous aurions pu laisser en toute confiance à l’alliance française de Mahajanga où nous retournerions à l’issue des 15 jours… Comme nous ne sommes que des abrutis, donc, nous avons payé 56000 ariary (soit une vingtaine d’euros) de surcharge, putain, ça commençait bien les Comores !

Après nous être un peu échauffés avec quelques employés, nous avons eu tout le loisir de ruminer notre bêtise dans le hall d’attente car notre vol n’a eu rien d’autre que 2 heures de retard ! Il faut que j’oublie ma ponctualité légendaire (ceux qui nous connaissent bien savent que ce n’est pas Luis qui est en train d’écrire !), et que je comprenne une bonne fois pour toute qu’il faut toujours venir au moins 1 heure après le rendez-vous prévu, même lorsqu’il s’agit d’avions. Nous sommes dans l’hémisphère sud quand même ! le vol, lui, superbe, nous a fait survoler l’île de Mohéli et ses îlots bordés de lagons turquoises, la magie commençait à opérer.

L’archipel des Comores est composé de 4 îles : la Grande Comore, Anjouan, Mohéli et Mayotte (la seule qui soit restée française, ayant du coup un fonctionnement bien à part).

Pour ceux qui ne connaissent pas les Comores (99,99% de nos lecteurs, dont nous !), la situation politique et sociale est très tendue ici.

17 coups d’état en 30 ans, la plupart menés par le mercenaire Bob Dénard pour le compte de l’état français, qui tantôt plaçait au pouvoir un tel, puis le liquidait ou le destituait un an ou deux plus tard. Une indépendance déclarée le 6 juillet 1975, qui a entraînée la fuite des colons français (ainsi que leurs capitaux) provoquant ainsi la chute économique du pays et l’émigration massive de la majeure partie de la population. Seul Mayotte avait senti le coup venir et décida à ce moment-là de rester attachée à la France. Et n’allez surtout pas dire à un mahorais qu’il est comorien, il serait capable de vous frapper, sinon plus. Ce T.O.M, désireux de devenir un D.O.M, est aujourd’hui l’île la plus riche, économiquement parlant (notamment grâce aux immigrés comoriens qui sont une source de main d’œuvre très rentable) et la plus développée de l’archipel des « îles de la lune ». Aucune couverture sociale pour les résidents français mais TOUS les services de santé sont entièrement gratuits !

Revers de la médaille : tournée vers le tourisme, bien plus que ses consoeurs, grâce notamment à ses lagons de rêve, l’île est de plus en plus défigurée par les hôtels, bateaux et autres produits de luxe, menaçant un peu plus chaque jour la riche faune et flore aquatique et terrestre qui l’habite depuis des siècles.

La diaspora comorienne est très importante en France : Alors que les trois îles comporte plus de 600 000 personnes, près de 200 000 comoriens vivent chez nous et représente 30% du PIB national de l’ensemble de l’archipel !

Tous les mois ces expatriés envoient de l’argent à leur famille vivant aux Comores pour les aider à survivre ou à construire la future maison dans laquelle ils habiteront à leur retour définitif dans leur pays natal ou d’origine. Seulement cette aide de la diaspora comporte plusieurs problèmes sociaux et effets pervers. D’une, elle pousse beaucoup d’hommes à ne pas travailler. Je n’ai pas dit chercher du travail, car il n’y en a presque pas. Même si beaucoup ont une parcelle de terrain où ils passent la plupart du temps à cultiver avant ou après leur travail, trop nombreux sont ceux qui voient en cette somme tombée du ciel un moyen pour ne rien faire d’autre que de discuter sur les fameux bancs publics, qui sont ici une véritable institution et un bon argument pour gagner des élections !! Alors va pour les anciens qui n’ont pas de retraite, déjà que les fonctionnaires ne sont pas payés depuis plusieurs mois, sinon années…

Mais que les plus jeunes n’apportent pas leur contribution pour faire en sorte que leur pays sorte de la misère dans laquelle elle se trouve (sous prétexte que des membres de leur famille leur apportent chaque mois de quoi les loger, les nourrir, s’habiller avec des vêtements de marque, avoir une voiture ou payer leur grand mariage) ne fera que conforter leur apathie ainsi que l’immobilisme socio-économique et culturel des Comores. Et pour tous les diplômés, ou tous ceux qui ont un minimum d’éducation ou de compétence dans un domaine particulier, leur seul désir est de quitter leur pays, où il n’y a aucun avenir, pour partir vers la France tellement les « Je viens » (les expatriés comoriens qui reviennent au pays tous les étés) entretiennent le mythe du « rêve français » en venant littéralement claquer les économies qu’ils ont faites dans leur 9m2 durant toute l’année.

On peut apercevoir les effets de la diaspora sur un village, ou une ville, en voyant les milliers de maisons encore au stade de construction depuis plusieurs années, soit parce que l’argent envoyé de France, pour acheter tout le matériel nécessaire aux travaux, a été utilisé par la famille pour autre chose, au grand damne des « je viens », soit parce que ces derniers prennent en charge la construction durant les étés, blazés de voir que personne n’a presque pas levé le petit doigt pour avancer les travaux alors que tous habitent dedans.

Cette idée de communautarisme est belle dans l’idée mais complètement faussée dans les faits. Les comoriens, vivant en France, sont OBLIGES de participer financièrement tous les mois à cette « aide » afin de financer non seulement leur famille mais aussi le village pour qu’il se dote d’une énième mosquée, alors que les écoles et les hôpitaux manquent cruellement de matériel qu’il y a de nombreuses coupures d’eau et d’électricité (gare aux produits importés congelés, au paludisme et aux épidémies de choléra). Et malheur à celui qui ne payera pas, parce qu’il est déjà endetté jusqu’au cou dans son petit studio à Marseille ou parce qu’il ne veut pas se soumettre à ce « chantage ». Le nom de sa famille sera affiché sur les murs du village et sera montré du doigt par tous les villageois. Et si par malheur, quelqu’un venait à décéder, le défunt n’aurait pas le droit à un grand enterrement, qui est le symbole et le but de toute une vie pour un comorien.

Autre grand but dans leur vie est celui de devenir un jour grand notable, synonyme d’une élévation et d’une reconnaissance sociale. On occupe alors une place plus importante dans les décisions prises au village et une des meilleures place à la mosquée. Pour réaliser ce projet, il faut d’abord faire son grand mariage. Et plus on atteint des sommets dans la démesure, plus on sera reconnu par le village, la ville, la région, le pays. Certains vont jusqu’à dépenser 100 000 euros (si si) en invitant le maximum de personnes et en leur en mettant autant plein les yeux que dans la panse. Ainsi, les chefs de village, maires ou présidents sont choisis, non pour la sagesse qu’ils devraient incarner pour mener à bien leur mission, mais parmi les hommes les plus riches ou les plus malins, qui voient dans ce grand mariage un investissement à long terme qui leur ouvrira les portes du pouvoir.

Mais que fait l’état ? Rien, si ce n’est de s’enrichir sur le dos de son peuple. Scénario universellement bien connu malheureusement.

La structure politique est plus que complexe à Grande Comore, Mohéli et Anjouan, chacune ayant son propre président. Ce qui fait 3 chefs de gouvernement qui doivent s’entendre malgré leurs possibles divergences politiques, auxquels s’ajoute le président de l’Union des Comores ! Et chaque île a son Parlement propre qui doit logiquement suivre le grand Parlement de l’Union !

Des présidents corrompus, des gouvernements corrompus et volontairement apathiques qui laissent leur pays à la dérive en menant une politique d’ingérence grâce aux innombrables ONG et, surtout, institutions de l’UE, présentes sur les trois îles. Les gouvernements locaux se frottent les mains en faisant ainsi l’économie de milliards de dollars tout en essayant de « récupérer » chaque projet apporté de l’étranger tandis que l’UE continue à jouer un rôle hypocrite et pervers dans sa politique, non pas d’aide, mais d’assistanat. Car sans compter les milliers d’emplois et les millions et les millions d’euros (souvent jetés par les fenêtres tellement certains projets sont ridicules) que les institutions injectent dans l’économie comorienne, c’est avant tout un rôle de stratégie politique et diplomatique qu’elle joue dans la région. Cela fait toujours bien aux yeux du monde entier de paraître être le sauveur des pays en voie de développement. Mais c’est une politique de néocolonialisme et de contrôle de la région de l’Océan indien qu’elle occupe en premier lieu. Les ONG et institutions de l’UE, garantes d’une belle idée qui s’appelle l’humanitaire ne sont rien d’autre que « les instruments de la diplomatie occidentale » pour reprendre les termes de François, mon « alcoolyte » de Mohéli, qui travaille justement en tant que volontaire, dans l’une de ces institutions oeuvrant pour belle idée qu’est le co-développement. Si vraiment l’UE voulait favoriser le développement ici, elle quitterait immédiatement le pays afin que les habitants soient, pour un temps, livrés à eux-mêmes et instigateurs de projets concrets et pertinents pour redresser la situation de l’île. Et seulement à ce moment-là, les financements arriveraient pour mettre en place ces projets.

Et puis il y a les nationalistes qui veulent à tout prix récupérer Mayotte. Et puis les séparatistes qui veulent l’indépendance de leur minuscule île. Ajoutons à cela que l’île d’Anjouan est désormais contrôlée par le général Mohamed Bacar depuis 5 ans et qu’il a décidé de rester au pouvoir malgré le résultat des élections présidentielles qui se déroulaient au moment même où nous y étions.

Le dictateur d’Anjouan s’est autoproclamé à nouveau président dès le premier tour à 85 %, après des élections truquées cela va sans dire. Alors que les observateurs de la communauté internationale (dans observateurs voyez y militaires), étaient présents sur tous les bureaux de vote de Grande Comore et de Mohéli afin d’éviter toute fraude électorale (fallait voir certains militaires sud africains, soudanais ou mauriciens passant leur temps à draguer les comoriennes pendant que, dans leur dos, des partisans de tel ou tel parti donnait de l’argent aux inscrits afin qu’ils votent en faveur de leur candidat), il apparut anormal et scandaleux que sur Anjouan, où tous ces problèmes de fraude étaient certains, il n’y eu pas d’ « observateurs » internationaux compétents. Bacar, par son système de milice, a tout scellé de l’intérieur. Et le voilà qui, avant même le deuxième tour des présidentielles des deux autres îles et sous la pression internationale, proclame au nez et à la barbe de tout le monde son nouveau gouvernement, au grand damne du président de l’union et de son rival politique, Mohamed Sambi. Il y eut bien des menaces d’intervention militaire pour déloger Bacar de la part de la communauté internationale, du conseil de sécurité de l’ONU et de l’Union Africaine mais, aux dernières nouvelles, Mme Zuma, représentante de l’UA, dépêchée à Anjouan pour intimider Bacar, est revenue de l’île en déclarant officiellement qu’il devait y avoir négociation. Diplomatiquement parlant, tous ces grands décideurs, « faiseurs de paix et garants de la démocratie » n’ont rien fait d’autre que d’apporter leur soutien à un dictateur. Ca devrait donner des idées à d’autres présidents des pays voisins. L’intervention militaire est mise aux oubliettes… pour l’instant.

Le deuxième tour à Grande Comore a vu la victoire du premier président albinos de l’histoire des Comores Mohamed Abdouloihabi, et à Mohéli d’un riche entrepreneur Mohamed Ali Saïd, à qui nous avons eu l’honneur de serrer la main dans sa demeure au lendemain même des résultats. Tout le monde espère un sursaut de la part de ses nouveaux leaders ayant la même couleur politique que Sambi, le président de l’union des îles. Reste à voir pour les Parlements… Moins de blocage politique serait sans doute plus bénéfique (encore faut il que les présidents soient droits et honnêtes !) que les cinq années précédentes où l’on pouvait comparé leur système à ce que nous appelons la « cohabitation ». Mais le plus grand problème est que le peuple attend beaucoup trop, et avec beaucoup trop de passivité et un soupçon de fatalisme, du gouvernement et de l’UE. Beaucoup se déresponsabilisent totalement en accusant toujours ceux qui sont au dessus d’eux. Réflexe logique et universel.

Donc ça c’était pour le climat politique et social, et encore je ne m’étends pas sur des tas d’autres sujets !

Vous êtes sûrement en train de vous dire qu’il faudrait être fou pour être là-bas en ce moment. Le site du ministère des affaires étrangères déconseille vivement les ressortissants français à y mettre les pieds. Quelle bande de crétins.

Après un portrait qui semble bien sombre, nous pouvons vous assurer qu’il n’y a pas plus gentil, plus pacifiste, plus accueillant, plus honnête, plus généreux, plus souriant, plus désintéressé, plus drôle qu’un comorien. Enfin si, il y a des tas d’autres peuples qui le sont aussi fort heureusement ! Ils m’ont souvent fait penser aux Irakiens par leur joie de vivre et leur simplicité. Ce sont des musulmans calmes, tolérants, très ouverts d’esprit et dont leur société est unique dans l’Islam. Leur système ressemble à celui qui existe aussi dans certains pays d’Afrique, un système matrilinéaire, c’est-à-dire que tous les biens du couple reviennent à la femme : maison, mobilier, voiture, bijoux, argent… Il n’en reste pas moins que c’est elle qui se tue le plus au travail tandis que Monsieur discute tranquillement de politique, de religion et de blablabla sous les bancs installés à l’ombre d’un oranger ou d’un manguier. Et plus on monte l’échelle sociale, plus cette réalité est avérée.

Ce système est tout de même une forme de protection pour la femme : au cas où le mari se soit mal comporté, elle peut le chasser de chez elle. C’est également le mari qui vient dans la famille de la femme après le mariage. Généralement, les parents tentent de vivre dans leur propre maison jusqu’à ce qu’ils aient des petits-enfants. Cela permet alors à la femme de trouver du travail ou de garder son emploi tandis que les « Bacos » s’occupent de ses enfants. La famille est la deuxième institution du pays, après la religion bien sûr.

Nous avons passé la première semaine sur la Grande Comore, où nous avons été accueillis par Jérôme, le directeur de l’Alliance française. Contrairement à nos habitudes, qui sont plutôt, par la force des choses, de travailler beaucoup pour peu de retours, Jérôme nous a logés et nourris pendant cette semaine, en échange d’une seule représentation à l’Alliance française ! Notre travail serait-il enfin reconnu ! En tous les cas, c’était un accueil formidable et puis ça met du beurre dans les épinards !!! Nous avons quand même culpabilisés de tant de luxe pour si peu de sueur, et avons immédiatement acceptés la proposition de Marie-Ange et de Lise, lorsque attirées par les couleurs flamboyantes du parachute, elles sont venues à notre rencontre sur la plage d’Itsandra (centre ville de Moroni). Le PASEC, pour lequel elles travaillent, organisait, cette semaine justement, une tournée d’interventions et de sensibilisation dans les différents villages de l’île, en partenariat avec le Croissant Rouge et l’UNICEF. Nous pourrions nous joindre à eux, afin de jouer pour tous ces enfants qui n’habitent pas la capitale et qui n’ont que rarement, voir jamais, l’occasion de voir un spectacle, qui plus est de clowns.

Notre première représentation, à l’Alliance franco-comorienne de Moroni, fut la plus animée. Les enfants de l’école française, public d’initiés (enfants de milieu favorisé ayant déjà eu l’occasion de voir du spectacle vivant) et d’avertis (nous les avions rencontrés la veille à l’école), ont réagi avec une grande ferveur, participant vivement, huant Luis et le traitant même au passage de « cannibale », va savoir… Toujours est-il que ça nous a changé de nos sages petits malgaches ! Du répondant ces petits là ! Un bon thermomètre pour mesurer la part de parole laissée à l’enfant selon les cultures. C’est à cette occasion, que nous avons rencontré Abdallah, percussionniste et ancien guitariste de Maalech (sûrement le musicien le plus connu hors de ses frontières). Il avait été contacté par l’alliance pour nous accompagner (lors du passage de la boîte à musique, pour les initiés) et avec qui le feeling est passé tellement instantanément qu’il a décidé de nous suivre gratuitement sur la tournée ! Merci Abdallah, une grande pensée pour toi et ton sourire généreux !

Nous avons ensuite enchaîné avec la tournée humanitaire. Les organisatrices du PASEC, Asma et Lise, avaient mis au point tout un tas d’activités ludiques afin de sensibiliser l’enfant à la propreté dans son école. Mais elles se désolaient de voir que chaque demi-journée dans un village se déroulait selon le même scénario : Après une heure de retard sur le programme commençaient alors les longs discours des différents notables du village (les hommes influents depuis leur grand mariage), félicitations et congratulations des villageois et des représentants des ONG, puis enfin, le rafraîchissement dînatoire attendu de tous, aux yeux et à la barbe des enfants qui ne feront aucune des activités prévues ! Asma et Lise se dépitaient de jour en jour, se promettant de prendre les devants de l’organisation à l’avenir. Pour nous ce fut plutôt très sympa, nous avons dans chaque village pu caser notre spectacle, même si à une reprise il fut interrompu par l’annonce au micro de l’heure de la prière, alors qu’Abdallah leur répétait que le spectacle allait finir dans 3min, et voilà donc tous nos chers notables en route vers le lieu de recueillement, passant au bord de notre scène et discutant joyeusement dans la plus parfaite ignorance ! Vexant merde ! Puis, une fois la prière finie, certains osaient venir nous féliciter. Bizarrement, ils s’étaient retrouvés face à deux murs qui ne voulaient pas leur répondre.

À chaque représentation, ses petits problèmes techniques qui entraînaient par conséquent des situations inédites et enrichissantes. Jouer sans musique, à cause d’un poste CD capricieux, s’est avéré très déstabilisant, surtout lorsque la compréhension du spectacle mimé repose entièrement sur elle. Ou bien, finir le spectacle dans une salle sombre et sans lumière, alors que le soleil s’est couché depuis 15 mns, nous a montré que l’on savait jouer, même dans les situations les plus inextricables.

Sinon, cette semaine sur la Grande Comore, ce fut aussi des baignades au bord de très belles plages de sable fin avec les cocotiers, des mabawas (cuisses de poulet rôti), un pique-nique au magnifique trou du prophète (n’y voyez rien d’obscène, il s’agit d’un rocher évidemment !), de nombreuses invitations chez les différents expatriés de l’île, citons en vrac, Alban et tite mère Séverine et leurs lessives salvatrices, Florence la prof de sport circassien, le fondant au chocolat de Claude et le sourire généreux de sa douce Carole, Yacinthe un tit clown elle aussi, Jean-Luc le plongeur-chasseur de requin et sa belle malgache Colette, l’anthropologue Marie et ses jugements souvent bien fondés, la très dynamique Françoise (qu’on retrouvera peut-être à la Réunion, inch allah !) et tous les mômes, et tous les autres…

Ce fut aussi l’occasion de rencontrer Nicolas et Colette du Croissant Rouge. Les deux responsables ont été séduits par notre projet et notre aventure. Ils ont également vu en nous un moyen de faire passer les messages qu’ils veulent transmettre à la population. La plupart des locaux savent pertinemment qu’il faut se laver les mains afin d’éviter toute maladie, ou bien dormir sous moustiquaire pour ne pas attraper le paludisme. Mais ils ne le font pas, soit par fainéantise, soit parce qu’ils se croient immunisés de tout, soit parce qu’ils ont l’impression d’étouffer la nuit s’ils protègent leur lit, soit surtout parce qu’ils croient au Destin. Et cette notion de fatalité déresponsabilise chacun de leurs actes. Pas de notion d’effet de cause à conséquence.

Ce n’est pas encore officiel, mais ils nous ont proposé de revenir aux Comores afin de participer à la création d’un spectacle clown pour des comédiens locaux sur chacune de trois îles. Ainsi à notre départ, les messages de la Croix-Rouge continueront à s’émanciper un peu partout…inch’allah.

La suite demain. J'entends déjà les vannes pleuvoir. Mais on a pas encore fini d'écrire le reste.

Les clowns